23.6.05

Juncker sonne la charge contre Blair

UNION EUROPEENNE A la veille de l'intervention que doit faire aujourd'hui le premier ministre britannique devant les eurodéputés

Bruxelles : de notre correspondant Pierre Avril
[Le Figaro, 23 juin 2005]

Hier, les eurodéputés sont venus au Parlement européen comme à la corrida, avec l'espoir et la secrète gourmandise d'assister à une mise à mort: celle de Tony Blair. Leurs attentes n'ont pas été déçues. Durant quarante-cinq minutes, sans jamais nommer son adversaire, le président en exercice de l'Union européenne, Jean-Claude Juncker s'est livré à une attaque en règle du premier ministre britannique. Alors que ce dernier doit, aujourd'hui, dans le même hémicycle, présenter les grandes lignes de son prochain mandat européen, ce duel à distance entre la «Vieille» et la «Nouvelle Europe» avait quelque chose de piquant. «Je n'ai aucune envie d'être diplomatique lorsque l'Europe est en crise», a justifié le premier ministre luxembourgeois, qui a longuement refait l'histoire de la négociation budgétaire avortée. Un échec qu'il impute directement à Londres.

Grâce à sa première proposition de geler le chèque britannique à hauteur de 4,7 milliards d'euros, la contribution financière des Pays-Bas, autre acteur clé des négociations, aurait été réduite de 1 milliard d'euros, et l'accord aurait pu se conclure, estime Juncker. Mais «les Britanniques n'ont pas accepté», tout comme une offre ultérieure de la présidence, présentée comme encore plus alléchante. Ils «ont eu tort de rejeter ce paquet», conclut Juncker, qui n'a eu de cesse d'isoler Blair. Pour cela, il s'est appuyé sur les Dix qui avaient offert – en vain – de se sacrifier pour sauver le sommet. «J'ai été heureux et fier d'entendre les Dix donner des leçons d'ambition européenne. Honte à ceux qui n'ont pas voulu tenir le même discours!».
A l'intention des éventuels malentendants, un diplomate luxembourgeois s'est mis à décrypter la pensée du premier ministre: «Blair est arrivé en affichant sa volonté de volonté de prendre le leadership de l'Union. Maintenant il est obligé de ramer pour tenter de corriger l'image du type près de ses sous.» La charge antibritannique ne s'est pas arrêtée aux questions financières, comme si Juncker voulait saboter l'image avant-gardiste qu'aime à se donner le numéro britannique. En tant que président du G8, ce dernier aspire à conduire la coalition des pays riches en faveur du développement; mais le Luxembourgeois rappelle que, sous sa présidence, l'engagement financier européen en faveur de la lutte contre la pauvreté s'est accru de 20 milliards d'euros... Sur l'Irak – qui faisait l'objet d'une conférence hier à Bruxelles –, il se dit fier d'avoir «amené Américains et Européens sur une même ligne d'action». C'est précisément le rôle que s'est assigné Tony Blair... Espérant contrarier encore davantage son homologue, Juncker s'est également attribué le mérite d'avoir «amélioré les relations de l'UE avec les Etats-Unis»...
«Mon sens de la modestie m'étonne», a ironisé Jean-Claude Juncker. Les eurodéputés ont adoré le numéro, offrant une standing ovation au perdant du Conseil. Pour l'homme qui, au contraire, est souvent présenté à Bruxelles comme le grand gagnant, ils auront aujourd'hui beaucoup moins d'égards.

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