21.6.05

La Chine, qui monte en puissance, est hostile à l'entrée de ses rivaux asiatiques comme nouveaux membres permanents

LE MONDE | 21.06.05 | 13h34  •  Mis à jour le 21.06.05 | 20h33
NEW YORK (Nations unies) de notre correspondante

Il y a encore quelques années, l'ambassadeur chinois aux Nations unies faisait l'effet d'un passe muraille. Dans les consultations du Conseil de sécurité, il prenait la parole, comme chacun de ses quatorze collègues, mais généralement pour dispenser des paroles de bons sens et de consensus. En public, il évitait les micros. Membre du club des cinq permanents du Conseil, la Chine ne s'impliquait guère dans les affaires du monde, sauf sur de rares questions où elle estimait que son intérêt national était en jeu, comme Taïwan.
La Chine était le pays de la diplomatie passive. Entre 1945 et 1971, elle n'a usé qu'une fois de son droit de veto. Depuis que le siège est passé à la Chine communiste en 1971, Pékin ne s'en est servi que 4 fois, généralement en signe de rétorsion contre des pays tentés de nouer des liens avec Taïwan, comme le Guatemala. Même sur l'Irak, en 2002-2003, la Chine est restée discrète. Elle a fait partie jusqu'au bout du camp du non à la guerre, mais avec flexibilité. Ce n'est que dans la dernière ligne droite que l'on a vu son ambassadeur s'arrêter devant les micros pour appeler à la poursuite des inspections de l'ONU en Irak plutôt qu'à une intervention militaire.

"INFLUENCE D'INTIMIDATION"

C'est dire si l'agitation actuelle de la diplomatie chinoise a été remarquée à l'ONU. Le 2 juin, l'ambassadeur Wang Guangya est monté au 38e étage pour aller signifier au secrétaire général, Kofi Annan, l'hostilité de son pays à la réforme du Conseil de sécurité, qui pourrait voir de nouveaux pays, dont le Japon, et aussi l'Inde, autre rival asiatique, joindre les cinq membres permanents. "Il est rare de les voir sortir du bois, note un diplomate d'un pays tiers. Là, ils se sont lancés dans une campagne mondiale contre l'élargissement, avec des démarches actives dans un certain nombre de pays." La Chine a aussi demandé à Paris et Londres de ne pas coparrainer la résolution présentée par les quatre candidats. "On entre dans un nouveau monde, remarque un diplomate européen. C'est la première fois que l'on voit les Chinois aussi actifs."
Selon leurs collègues, les Chinois peuvent faire pression sur les pays qu'ils soutiennent économiquement, comme l'Angola. Ils ont aussi une "influence d'intimidation" sur les petits pays qui dépendent des décisions du Conseil de sécurité. "Prenons l'exemple de Chypre, explique un expert. Les Chinois peuvent très bien dire : s'il y a un jour un accord inter-chypriote, on ne vous soutiendra pas." Peuvent-ils empêcher un vote à l'Assemblée générale ? "C'est ce que l'on va savoir, répond-il. On est en train de mesurer leur influence."
La montée en puissance de la diplomatie chinoise a été graduelle. Un signe a été donné, en 2004, après l'entrée en guerre en Irak, à propos de la Cour pénale internationale. Malgré l'effet des photos des détenus d'Abou Ghraib, les Etats-Unis essayaient d'obtenir une clause d'exemption de poursuites pour leurs personnels à l'étranger. Comme chaque année, ils le faisaient par le biais d'une résolution sur le renouvellement d'une mission de maintien de la paix dans les Balkans. La Chine a fait savoir qu'elle s'y opposerait. Elle n'a même pas eu besoin de prononcer le mot de veto. Les Etats-Unis ont retiré leur projet.
Un autre signe, encore plus net, a été donné sur le Darfour, la province occidentale du Soudan où la population civile est l'otage d'un conflit politico-ethnique. On y a vu à l'oeuvre ce que certains experts appellent la "diplomatie pétrolière" de Pékin. La Chine, qui a des intérêts énergétiques au Soudan, n'a pas caché qu'elle n'accepterait pas l'ombre de sanctions pétrolières contre Khartoum. Le Conseil a dû faire avec. Seules des sanctions ciblées ont été étudiées. L'Iran est un autre pays dans lequel les Chinois ont des intérêts pétroliers. On voit mal les Chinois donner leur accord à des sanctions, si le dossier nucléaire vient au Conseil de sécurité.
La Chine ne verse que 2 % du budget de l'ONU. A l'occasion de la renégociation financière de 2006, les financiers espèrent mettre sa quote part au diapason de son exceptionnelle croissance. D'autant que le Japon ne manquera pas de réduire sa contribution (19 %) s'il n'entre pas au Conseil.
Corine Lesnes

Article paru dans l'édition du 22.06.05

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