27.6.05

La CIA, l'imam et le juge italien

ÉGYPTE

Le Caire : de notre envoyé spécial Pierre Prier
[Le Figari, 27 juin 2005]


L'inculpation de 13 étrangers liés à la CIA par un juge italien a réveillé une histoire un peu oubliée en Egypte. Les organisations de défense des droits de l'homme, souvent occupées à la préparation de la prochaine manifestation contre la réélection du président Moubarak, ont dû fouiller dans leurs dossiers pour se rappeler le cas de l'islamiste égyptien Hassan Moustapha Ossama Nasr, dit Abbou Omar. La magistrate milanaise, Chiara Nobili, accuse le service de renseignement américain de l'avoir enlevé sur le sol italien en 2003, puis de l'avoir livré à l'Egypte où il aurait été torturé.
L'ambassadeur, Mokhless Kotb, secrétaire général du nouveau et officiel Conseil national des droits de l'homme, assure que le cas sera soumis lors de sa prochaine rencontre hebdomadaire avec le ministère de l'Intérieur. L'affaire Abbou Omar ravive le débat sur la «délocalisation de la torture», dénoncée en particulier dans le magazine The New Yorker par Seymour Hersh, spécialiste des enquêtes sur les pratiques secrètes de l'Administration américaine. D'après le journaliste, des dizaines de personnes recherchées dans le cadre de la lutte contre le terrorisme ont été enlevées à l'étranger par la CIA, embarquées dans des avions civils appartenant à une compagnie travaillant pour le gouvernement américain, et livrées à leur pays d'origine où elles peuvent être interrogées selon les traditions locales. Les confessions obtenues sont ensuite partagées entre les services américains et arabes.
D'après le parquet italien, qui demandera «l'assistance judiciaire» des Etats-Unis et de l'Egypte, Abbou Omar a été kidnappé le 17 février 2003, dans une rue de Milan. Soupçonné par les Etats-Unis de faire partie de la nébuleuse terroriste, il aurait combattu en Afghanistan et en Bosnie, avant d'obtenir l'asile politique en Italie, en 1997. Après son enlèvement, par une équipe liée aux services américains, l'imam aurait été emmené sur la base militaire américaine d'Aviano et évacué vers l'Egypte où, toujours selon la justice italienne, il aurait été l'objet de «violences physiques».
En mai 2004, Abbou Omar, relâché temporairement, a pu passer deux coups de téléphone à un autre imam de Milan, Mohammed Reda, à qui il a déclaré, selon une source judiciaire : «Je ne peux pas marcher plus de deux cents mètres. Je reste toujours assis. J'ai des problèmes d'incontinence et de tension artérielle.» Abbou Omar semble avoir été de nouveau arrêté. En tout cas, il n'a plus donné signe de vie.
C'est apparemment la première fois que la justice de l'un des pays où a eu lieu un enlèvement se lance à la poursuite des agents américains. Selon le quotidien ll Corriere della Sera, un ancien consul des Etats-Unis figure sur la liste des personnes dont l'arrestation a été ordonnée. Il pourrait s'agir du «chef de station» de la CIA. Le geste paraît symbolique, aucun des treize ne se trouvant plus sur le territoire italien. Mais Chiara Nobili embarrasse le gouvernement Berlusconi, l'un des meilleurs alliés de Washington dans la guerre en Irak, et la CIA qui ne désire faire aucun commentaire.
En Egypte, un autre cas aurait été repéré par les défenseurs des droits de l'homme, pour qui il est difficile de percer le secret dont s'entourent les services égyptiens, alliés stratégiques des Etats-Unis. Mais l'enquête italienne devrait obliger Washington à s'expliquer sur la méthode des enlèvements, qui enfreint les règles du droit international. Hier, quelque deux cents manifestants se sont rassemblés, pour la première fois, devant le siège de la sûreté de l'Etat (police politique) pour dénoncer la torture et demander la démission du ministre de l'Intérieur.

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