9.6.05

Les forces de sécurité palestiniennes

La question de la sécurité et des forces de sécurité est récurrente dans la gestion du conflit israélo-palestinien. Les entretiens entre le président américain George W. Bush et le président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas, le 26 mai denier, l’ont montrés une fois de plus. Mettant à profit le climat nouveau généré par la disparition de la scène de Yasser Arafat, le président Bush a une nouvelle fois demandé au dirigeant palestinien d’assurer une meilleure coordination de ses services de sécurité, de mettre fin aux actions terroristes du Hamas et d’autres mouvements anti-israéliens. Sur ce dernier point, le chef de l’Etat américain prêchait à un convaincu, Abbas ayant systématiquement condamné tous les attentats, rappelant qu’ils touchaient plus les Palestiniens que les Israéliens. Quant au premier point, il convient de rappeler que le 14 avril denier, avec son ministre de l’Intérieur, Nasser Yusuf, il a pris un décret organisant les services de sécurité existants en trois branches et créant un environnement favorable à leur coopération.
Même s’il est encore difficile de voir les résultats de cette réorganisation, les douze divisions de l’ère Arafat, employant quelque quarante mille personnes, ont été regroupées en trois branches classiques, sécurité nationale, Intérieur et renseignement. Les unités de sécurité nationale comprennent les Forces de sécurité nationales (troupes d’amalgame de quinze mille homme, à mi-chemin d’une armée et d’une police des frontières), les gardes côtes (mille hommes, provenant essentiellement du Fatah, et cinq navires, chargés particulièrement de la répression des trafics d’armes et de drogue avec l’Egypte) et la police de l’air (émanation de la Force 14 du Fatah, ce petit groupe fort de cinq hélicoptères est surtout chargé du transport de personnalités).
Les troupes de l’Intérieur sont les plus nombreuses et les plus diverses : police (les « bleus » sont forts de dix mille hommes, dont sept cents à une unité d’intervention), défense civile (pompiers), sécurité gouvernementale (petite unité chargée de la sécurité des autorités civiles), force préventive de sécurité (cinq mille hommes en civil posant peut-être le plus de problème ; ces anciens acteurs de la première Intifida sont déployés en Cisjordanie et à Gaza, chargés du contre-terrorisme ; leurs anciens commandants, Jibril Rajoub en Cisjordanie et Mohammed Dahlan à Gaza, ont intégré l’Autorité palestinienne, respectivement en tant que conseiller à la sécurité nationale et ministre des Affaires civiles) et enfin la Sécurité présidentielle (trois mille bien entraînés dépendant directement du président de l’Autorité palestinienne et recrutés notamment au sein de la Force 17 ; ils sont répartis en deux sections : renseignement et Garde présidentielle).
Le renseignement comprend trois branches traditionnelles, c’est-à-dire civile, la Mukhabarat (trois mille hommes, comme voulu par les accords internationaux, chargés du contre-espionnage ; Arafat était suspecté de leur avoir fait infiltrer une grande partie de la société palestinienne), militaire, l’Istikhbarat (peu développé et surtout impliqué dans le traitement des activistes de tous bords ; soupçonné de gérer les groupes comme le Hamas et le Jihad islamique afin de contrôler leur popularité et de diminuer la menace politique qu’ils faisaient poser au Fatah), et police militaire (émanation de l’Istikhbarat, bien que sa spécialisation pénitentiaire et maintien de l’ordre la prédispose plutôt à appartenir aux unités du ministère de l’Intérieur).
La diversité des forces, même ainsi réunies en trois branches témoigne de la structuration particulière de la société palestinienne. En effet, les recrutements se sont fait dans les différentes unités de la résistance, sur la base des accords d’Oslo et des accords suivants, notamment celui de Gaza-Jéricho signé au Caire en 1994 et établissant les Services généraux de sécurité, qui regroupaient originalement toutes les forces de sécurité. La politique de Yasser Arafat ne fit qu’accentuer cette division en petites unités afin de préserver son autorité tout en empêchant l’apparition d’alternatives en leur sein. Cette diversité des forces de sécurité a ainsi permis leur utilisation dans des entreprises criminelles, notamment des fraudes douanières et des détournements de taxes, selon l’Evaluating Palestinian Reform de janvier 2005, par Nathan Brown, professeur de relations internationales à l’université George Washington et associé senior au Carnegie Endowment for International Peace.
Les résultats de ces forces de sécurité ne sont donc guère aux niveaux qu’exigent la démocratie, ou plus simplement un Etat moderne. En trame de contre-terrorisme, elles n’ont pas été capables d’assurer un enrayement des attaques contre Israël, malgré les multiples promesses des dirigeants palestiniens. Depuis le début de la seconde Intifida, les responsables de la sécurité israélienne ont été obligés de cesser toute coopération avec elles, ce qui laisse penser à certain qu’ils témoignent d’une mauvaise opinion à l’égard de ces forces palestiniennes. Il est vrai que le mitraillage de quinze policiers palestiniens, en représailles de la mort de quatre militaires de Tsahal dans un attentat, le 15 février 2002, n’a rien fait pour arranger les choses ; l’acquittement des responsables de l’action par le tribunal militaire israélien, en début de semaine, ne fait que confirmer cette mauvaise opinion.
La situation n’est guère meilleure au niveau criminel. La loi et l’ordre ne sont pas garantis par la police dans cette parodie d’Etat qu’est l’Autorité palestinienne, percluse de corruption. Naturellement, les forces de sécurité ne peuvent répondre aux nécessités de remise en ordre étatique, soit que certains de ses membres sont corrompus, soit qu’ils sont mal entraînés, voire pas du tout pour certaines missions. Certains Palestiniens, notent Nathan Brown, se désolent d’avoir engendré « une série de protection compétitive pour le racket ». En effet, la formation des hommes dépend de leur activité pendant les deux Intifadas. A part cette école du terrain contre les forces israéliennes, il n’existe pas d’écoles ou de programmes centralisés. Chaque branche recrute et entraîne son personnel selon ses critères.
Mahmoud Abbas est disposé à remédier à ces disfonctionnements de ses services de sécurité. Le 10 février dernier, il a démis plusieurs responsables de haut rang, dont le directeur général de la police et le chef des Forces de sécurité nationales. Ils n’avaient pu empêcher qu’une attaque terroriste viole le fragile cessez-le-feu avec Israël. Après que des Palestiniens ont mitraillé sa voiture lors de sa visite à Jénine, en mars, Nasser Yusuf a démis le chef de la police et le gouverneur de la ville. Le président de l’Autorité palestinienne a forcé mille surnuméraires à se démettre, a fait détruire les tunnels frontaliers avec l’Egypte et fermé les ateliers de fabrication de mortiers. Le décret du 14 avril ne se contente pas seulement de réorganiser la structure des forces de sécurité. Il leur demande également des comptes sur leur action passée et présente et impose une voie hiérarchique. Cette reprise en main est destinée à assurer l’amalgame des milices armées, comme le Hamas, le Jihad islamique, la Brigade des martyrs d’al Aqsa et le Hizb‘allah, payant leurs salaires et assurant leur impunité s’ils renonçaient au terrorisme. Mahmoud Abbas espère attirer ainsi nombre de ces jeunes perdus après deux Intifidas. Le pari est risqué, mais il peut réussir. Arafat cesse d’être une icône intouchable, la réforme financière (Arafat payait ses fonctionnaires en espèces, Abbas privilégie les virements bancaires) est en route et les principaux dirigeants internationaux, notamment le Premier ministre britannique Tony Blair, la secrétaire d’Etat américaine Condoleezza Rice et le secrétaire général des Nations unies Kofi Annan, ont apporté leur soutien à la lutte anti-corruption d’Abbas lors de la conférence de Londres sur les réformes palestiniennes, en mars dernier. Le secrétaire britannique au Foreign Office, Jack Straw, a même entamé des négociations avec le Hamas, après les résultats des élections municipales.
Enfin, quatre années d’Intifada ont épuisé la société palestinienne au point de souhaiter la reprise des négociations avec Israël. C’est peut-être le point le plus crucial, avec le redéploiement des policiers. La normalité amènera l’Autorité palestinienne à reconsidérer ses pratiques…

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