17.6.05

L'opération « Licorne » change de tête

COTE D'IVOIRE Alors que la tension persiste avec Abidjan

Abidjan :
[Le Figaro, 17 juin 2005]

Les partisans du président Laurent Gbagbo le surnommaient « le Tueur ». Les 8 000 Français évacués en novembre dernier le considéraient comme « un sauveur ». Le général Henri Poncet, commandant des 4 000 hommes de l'opération « Licorne », est rentré en France mercredi. Le colonel Mangou, chef d'état-major des Fanci (Forces armées nationales de Côte d'Ivoire), a invité le 13 juin son successeur, le général Irastorza, à « une franche collaboration face au dépit amoureux ». Depuis les violentes manifes tations antifrançaises de novembre dernier, une forte tension persiste entre Paris et Abidjan.
Poncet avait pris ses fonctions le 1er juin 2004. Il était arrivé un jour de Pentecôte. « C'est peut-être le signe que l'esprit de paix va descendre sur le pays », déclarait-il à l'époque. Il repart avec ce qu'il appelle « une immense déception ». Le désarmement apparaît de plus en plus difficile à mettre en œuvre et les relations militaires franco-ivoiriennes sont au plus bas.
Pour la majorité des Ivoiriens, le général Poncet restera comme celui qui a détruit la flotte aérienne du pays. On ne peut s'empêcher de l'identifier aussi aux événements de l'Hôtel Ivoire des 7 et 8 novembre 2004. Les images des soldats de la « Licorne » qui tirent sur la foule circulent librement dans la capitale ivoirienne.
Loin de la propagande, chacun cherche à comprendre. Les soldats français se sont évidemment fait déborder par une foule que les gendarmes ivoiriens ne pouvaient plus contrôler. Ils venaient de perdre neuf hommes dans le bombardement de leur camp à Bouaké (centre du pays) par l'armée ivoirienne.
Mais peu importe de savoir qui a commencé à tirer. Les Ivoiriens ne retiendront que l'image de ces civils, tombés sur le parvis de l'Hôtel Ivoire. « Que faisaient les militaires français ce jour-là à l'Hôtel Ivoire ? », se demande encore Mamadou Coulibaly. Le président de l'Assemblée nationale rappelle que, la veille, les chars français encerclaient la résidence du président Gbagbo. « On nous a dit qu'ils s'étaient trompés de route. Dans une ville déjà en prise à un fort sentiment antifrançais, comment voulez-vous qu'on n'imagine pas que les Français préparent un coup d'État ! », s'ex clame-t-il.
Comme si tout cela ne suffisait pas, le mandat du général Poncet s'est terminé par cette rocambolesque histoire du « cédérom oublié ». Un ordinateur de « Licorne » a été volé, rapporté aux autorités ivoiriennes, qui se sont empressées de faire diffuser dans la rue des milliers de copies du disque dur. Le principal quotidien du pays, Fraternité Matin, en a même fait deux numéros spéciaux. On a ainsi rendu public des renseignements concernant les forces militaires en présence (Forces loyalistes, rebelles ou milices) et des petites fiches des services secrets français sur telle ou telle personnalité. Sans le savoir, les militaires français ont rendu un fier service aux deux camps, qui ont ainsi pu peaufiner leurs dossiers...
« L'année était difficile, enrichissante, mais je suis fier des hommes que j'ai commandés », conclut aujourd'hui le général Poncet. Ses proches assurent qu'il a donné le meilleur de lui-même. 8 000 ressortissants, bloqués par les émeutiers dans tous les quartiers d'Abidjan, ont ainsi pu être évacués sans trop de dégâts. « Il y aurait pu y avoir beaucoup plus de victimes si tout cela n'avait pas été aussi bien géré », confie un Français d'Abidjan.
Reste que le nouveau patron du 43e Bima va mettre les pieds dans une Côte d'Ivoire sérieusement traumatisée. En souhaitant au général Poncet un « bon retour au pays de nos ancêtres les Gaulois », le patron de l'armée ivoirienne donnait le ton des rapports militaires franco-ivoiriens.
Devant l'Hôtel Ivoire, une statue porte toujours le tee-shirt rouge de sang des patriotes, avec au dos ces mots très sim ples : « Licorne dehors. »

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