29.6.05

L'US Army touchée par une crise du recrutement

Alors que des voix s'élèvent pour agiter l'épouvantail de la conscription, abolie en 1973, les pertes en vies humaines – plus de 1 700 morts en Irak – dissuadent les postulants

Arnaud de La Grange
[Le Figaro, 29 juin 2005]

Même remise au goût du jour, la belle affiche de l'Oncle Sam assénant «We want you for US Army» ne fait plus recette. Car c'est bien l'«Army», l'armée de terre américaine, qui se débat aujourd'hui dans une grave crise de recrutement. Pas la marine ni l'armée de l'air, qui continuent à faire caserne comble. Du coup, voilà que le fantôme de la conscription secoue ses oripeaux du Vietnam.
Cela fait maintenant quatre mois que des trous se font dans les rangs. Le mois dernier, l'armée de terre n'a rempli que 75% de son objectif, fixé à 6 700 recrues. Patron du recrutement, le général Michael Rochelle en mange sa casquette. «Les conditions actuelles sont les plus difficiles que j'ai connues en trente-trois ans sous l'uniforme», a-t-il lancé. Mais c'est aussi la première fois que «toute l'armée professionnelle est engagée dans des combats terrestres de longue durée».
Les pertes en vies humaines – en Afghanistan mais sur - tout en Irak avec plus de 1 700 morts – font réfléchir. L'Amérique déploie quelque 140 000 hommes sur ces deux théâtres d'opération et la plupart d'entre eux en sont à leur deuxième rotation. La deuxième explication des problèmes de recrutement relève, elle, d'une bonne nouvelle : le faible taux de chômage.
La semaine dernière, c'est un sénateur démocrate, membre influent de la commission des Affaires étrangères, qui a relancé le débat. «Nous allons devoir examiner ce problème», a affirmé le sénateur Joseph Biden, en évoquant la restauration du service militaire. Une sortie qui a amené le Pentagone à réagir officiellement. «L'idée de revenir au service obligatoire serait une terrible erreur», a déclaré le chef du commandement central (Centcom), le général John Abizaid, lors d'une audition parlementaire sur l'Irak.
Le sujet est très politique. Joseph Biden est l'un des politiciens les plus critiques sur la gestion de la guerre en Irak par l'Administration Bush. Et il vient d'annoncer qu'il envisageait d'être candidat à l'élection présidentielle de 2008. Lors de la dernière campagne, à l'automne dernier, John Kerry avait réveillé le spectre de la conscription, en accusant la Maison-Blanche d'avoir des plans pour la rétablir. Elle avait été abolie en 1973, après la saignée traumatisante du Vietnam.
«Le débat sur la conscription est un épouvantail, estime Bruno Tertrais (1), maître de recherches à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS), il est agité par ceux qui veulent critiquer l'Administration Bush au nom d'une guerre dont on ne voit pas la fin. Un rétablissement est impensable, sauf si une autre attaque majeure frappe les Etats-Unis, ou si les marines et l'armée de terre sont impliqués dans un second conflit de grande ampleur. Si demain, par exemple, la Corée du Nord attaque le Sud. Mais là on est dans un autre monde...»
Il n'en reste pas moins que le problème est là. «Je suis extrêmement inquiet et j'entends beaucoup d'inquiétudes dans ma circonscription sur le recrutement», a confié Walter Jones, un élu de Caroline du Nord. Et, cette fois-ci, l'homme ne peut être suspecté d'arrière-pensées partisanes. Il est républicain et fut l'un des plus fervents défenseurs de la guerre en Irak. Il s'était même illustré en proposant de rebaptiser freedom fries («frites de la liberté») les fameuses french fries («frites françaises»)...

(*) Vient de publier Quatre ans pour changer le monde. L'Amérique de George Bush 2005-2008, Editions Autrement.

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