21.6.05

Retour sur un montage intellectuel

Pour les criminologues Alain Bauer et Xavier Raufer, qui viennent de publier « L’Enigme Al-Qaida » (Paris, Jean-Claude Lattès, 2005), l’organisation de Bin Laden est une cible insaisissable. La raison en très simple, comme nous l’avons déjà maintes fois rappelé, puisqu’il s’agit d’une erreur de diagnostic. Adeptes de « Public Diplomacy », les Etats-Unis ont construit cette nouvelle menace, comme d’autres créent des « marques » : Al Qaïda existe comme groupe terroriste, certes, mais pas comme nous le présentent les Américains. Cette « métaphore » fourre-tout a été employée pour la première fois par les autorités américaines en 1996, Bin Laden lui-même ne l’aurait jamais prononcé. Le risque, « quand on crée un monstre, c’est de finir par croire à sa propre propagande. Et la créature, tel Frankestein, peut finalement vous échapper », observe Xavier Raufer. Après les attentats du 11 septembre 2001, le terme Al Qaïda, utilisé « par cynisme » à des fins géopolitiques, a été repris en chœur par les médias, pas assez formés à la question du terrorisme et trop prompts à adopter la logique du « banc de poissons ».
Car si la structuration de l’araignée qui nous a été présentée depuis bientôt quatre ans n’existe pas, l’islam radical existe. Il est protéiforme et changeant, ce qui rend à la fois impossible et pourtant vraisemblable tout accointance avec al Qaïda, telle que « la Base » nous est présentée. Impossible car l’Islam est divers et sa traduction politique, même si elle prône des idées communes, comme l’application de la Charia, est d’abord en liaison avec un environnement politique particulier. L’islamisme d’Izetbegovic, qui a servi de construction idéologique au massacre du peuple bosniaque par Serbes et Croates réunis, n’est sans commune mesure avec celui de l’Iran chi‘ite ou l’Arabie wahhabite. Pourtant, des financements sont venus de ces pays, et d’ailleurs. Seulement, ce soutien ne laissait présager aucune islamisation de l’Europe ou, mieux, aucune alliance panislamique dans un dessein de domination mondiale. Il ne s’agissait aucunement d’une contagion verte, comme il y avait pu en avoir une rouge. La solidarité entre musulmans (zakât) est un des piliers du Coran, avec la chahada (profession de foi), la prière, le jeûne et le Hadj (pèlerinage à La Mecque). Ussama Bin Laden, prosélyte saoudien, n’a fait que dispenser ce don de Dieu aux groupes qui en avait besoin. Pour autant, aucune subordination n’était exigée en retour.
Dans le même temps, al Qaïda menait sa guerre en Afghanistan aux côtés de Talibans. Sa haine des Etats-Unis venait du jeu dangereux qu’ils avaient joué à la fin de l’occupation soviétique, abandonnant hommes et matériels à leur triste sort. Cette realpolitik, ajoutée au traumatisme suscité à travers le monde arabe par la première Guerre du Golfe, a suffi pour engendrer des lignées de Kamikazes. L’idée d’une attaque occidentale contre l’islam est montée dans la rue arabe et s’est propagée dans les caves des immeubles des banlieues occidentales à mesure que les massacres de Bosnie, de Gaza et d’Irak étaient médiatisés. Il n’en fallait pas plus à quelques radicaux pour élaborer un discours victimaire et le diffuser à tous les pauvres musulmans en but ici à des services sociaux déficients, là à des barrières sociales, là encore à une duplicité de leurs gouvernements qui s’occidentalisaient…
Cet amalgame monstrueux a permis aux « spin doctors » de George Bush et de Tony Blair, pour ne retenir que ces deux, de construire un discours belliciste contre ce monstre qui venait et menaçait l’Occident. Le décalage avec la réalité, après le choc en direct des tours jumelles s’effondrant dans un amas de flammes, « interdit de faire un diagnostic correct », estime Xavier Raufer. D’autant que, pendant ce temps-là, une menace, bien réelle celle-là, va croissant. « Pour la première fois depuis dix siècles, préviennent les auteurs de l’ouvrage, l’ennemi ne va pas de soi. » Ainsi, aucune réponse officielle n’a encore été apportée à la question de savoir qui exactement les Etats-Unis combattent en Irak. Aujourd’hui, malgré l’ampleur des moyens dégagés, la lutte contre le terrorisme est un échec. Et ce ratage fait de « l’Irak (…) le “premier incubateur” mondial de terroristes ».
Sous la forme d’un journal en sept jours, Guillaume Dasquié, qui avait été un des premiers Français a diffusé l’idée d’une toile alqaïdienne à l’assaut de l’Occident, livre son constat désabusé sur les failles et les non-dits de la lutte antiterroriste. Ecœuré, il annonce, dans Al-Qaida vaincra (Paris, Privé, 2005), l’abandon de son sujet.

Aucun commentaire: