25.7.05

Feu d’artifice

Al Qaïda est comme un feu d’artifice du (1)4 juillet ; l’organisation islamiste suscite de nombreux commentaires a posteriori, dès que l’explosion a eu lieu. On entend tout et son contraire, notamment la description d’une toile d’araignée enserrant le monde, comme Internet est censé relier le monde et les hommes entre-eux. Une bombe explose à Madrid ou à Londres, c’est forcément al Qaïda, puisque les mouvements terroristes locaux, ETA et IRA, clament haut et fort leur innocence. Une bombe explose en Egypte, quelque temps plus tard, c’est forcément al Qaïda, car le réseau mondial a déclaré la guerre au monde occidental et aux régimes arabes corrompus. Naturellement, les médias amplifient le mouvement, l’illustrant de cartes montrant la contagion terroriste depuis le 11 septembre 2001, interrogeant force artificiers promus experts en terrorisme. Et tous de dresser un sombre panorama, fait de ramifications internationales vers tous les points chauds du globe où des musulmans mènent une guérilla, même la plus petite. Car il est clair que la menace terroriste date des attentats contre le Pentagone et le World Trade Center, amplifié par la guerre en Irak. Comme si le monde datait d’aujourd’hui…
Il n’y a jamais eu de flambée de violence à caractère terroriste en Egypte avant le 11 septembre, ni même en Algérie, en Indonésie… Les moines de Tibériade ont été assassinés parce qu’ils étaient chrétiens, c’est tellement évident aux tenants du choc des civilisations. L’Islam est en guerre contre l’Occident depuis le 11 septembre 2001 et George W. Bush est notre sauveur. Cette religion promue au rang d’idéologie remplace simplement la menace communiste, et al Qaïda est le nouveau Parti communiste d’Union soviétique, tandis que tous les mouvements qui s’en réclament sont autant de régiment de la nouvelle Armée rouge. C’est tellement rassurant…
La guerre contre le terrorisme se nourrit de cet amalgame, tout autant que les mouvements fondamentalistes musulmans. Hormis les explosions, tout n’est que communication. Et encore… Une bombe qui explose pour le journal de vingt heures, avec son lot de vidéos amateurs pour renforcer le spectaculaire. Quoi de plus médiatique ! Puis viennent les experts, encore qu’ils se fassent plus discrets en ce moment, pour prolonger ce moment médiatique. On en oublie finalement les motivations réelles des terroristes, puisqu’ils se placent ou sont placés sous le couvert d’al Qaïda.
Or, la situation était déjà tendue en Egypte, où des commandos islamistes massacraient allègrement des touristes, quand ils n’avaient pas de président à se mettre dans la ligne de mire, bien avant le 11 septembre 2001. Quant aux bombardements américains sur l’Afghanistan, depuis l’hiver 2001, peut-on croire un seul instant qu’ils n’aient pas atteint, en partie au moins, leurs objectifs ? Quelle est la part de manipulation, via Internet et des messages destinés à des bureaux de médias installés dans tout le Moyen-Orient et en Asie mineure ? Une revendication est tellement facile. Il suffit d’un logo et d’une dialectique.
Derrière ces feux d’artifice se cache pourtant une situation sociale déplorable. L’Egypte, pas plus que l’Algérie de 1991, n’est un modèle de démocratie. Les banlieues des grandes villes d’Occident sont toujours des nids de contestation violente ; mieux, le modèle social de nos sociétés contemporaines, vouées au chômage et à l’exclusion plutôt qu’à un avenir radieux, n’ouvre guère sur des lendemains qui chantent. Les programmes de télévision à destination des enfants préparent à une violence qui se porte ensuite dans les rues. Il ne faut pas oublier non plus tous ces « combattants de l’Islam » partis se battre dans les années 1980 en Afghanistan ou pour la cause palestinienne et revenus comme des lépreux dans des sociétés qui n’étaient plus aptes à les recevoir. Ils sont repartis en Bosnie, en Algérie poursuivre le rêve d’aventure et de pureté. D’autres sont repartis pour le Pakistan, se former à l’Islam, comme d’autres vont aux Alcooliques anonymes pour retrouver leur dignité perdue. Le processus est le même. Ils reviennent au bled ou dans leur banlieue, prennent en charge des activités sociales à la mosquée du coin, entrent en contact avec des jeunes auprès de qui ils témoignent. Tous avaient en commun une haine des Etats-Unis, héritée des prêches de l’ayatollah Khomeyni.
L’embrigadement commence aussi simplement, avant même que se forge un objectif. Les quatre de Leeds ont commencé comme Khaled Kelkal avait commencé à Lyon. Cassettes, petite délinquance, arrestation, haine de la société et de sa police, secours de la religion, re-souvenir d’une origine étrangère : la bombe est enclenchée. Le détonateur sera l’Afghan, qui enseignera la parole de Dieu et les maux de la bombe, mais qui ne se fera pas exploser. Les prisons s’ouvrent sur ces compagnons de route des GIA des années 1990 ; ils forment des contingents intéressants pour tous ces invocateurs de Bin Laden. Ils s’habillent en Nike, boivent du Mecca Cola et invoquent le chaykh tel une marque de grande consommation. Il n’est qu’à se souvenir des jeunes, pas forcément d’origine arabe, portant le keffieh d’Arafat dans les années 1970 et 1980. Les attentats ne manquaient pas. Mais la crise économique et sociale de l’Occident, tout comme la révolution des technologies de la communication ne permettaient pas une médiatisation à outrance, comme aujourd’hui. Et l’extrême gauche était autrement séduisante pour les jeunes bourgeois… Mais, de même que l’internationale terroriste d’il y a vingt ans utilisait les ressorts idéologiques qu’offrait l’Union soviétique, sans forcément être une résurgence de la lutte des classes par un autre moyen, l’internationale islamiste ne ressemble à de nouvelles hordes lancée contre l’Occident chrétien par un nouveau Saladin. Cela, c’est la version hollywoodienne d’al Qaïda.
Pour le reste, l’amalgame réalisé par quelque ûlama et quelques Afghans ne parvient guère à masquer un profond vide intellectuel. Même sans al Qaïda et Zarkawi les bombes exploseraient à Bagdad. Quant à l’importance de la Palestine dans le discours des kamikazes, il est tellement important que même Ariel Sharon n’ose pas faire de lien entre le Hamas et autres Hizb‘allah avec l’organisation de bin Laden. Pendant ce temps, les feux d’artifices continuent à ponctuer les événements politique-médiatiques des jours qui passent…

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