8.7.05

La Mauritanie est-elle une cible islamiste ?

Point de vue
, par Mahmoud Ould Mohamedou

LE MONDE | 08.07.05 | 14h46 • Mis à jour le 08.07.05 | 14h46

Plus qu'un coup porté à la souveraineté et à l'intégrité territoriale de la Mauritanie, l'attaque perpétrée le 4 juin dernier par le Groupe salafiste de prédication et de combat (GSPC) contre la caserne de Lemgheity, au nord-est de la Mauritanie, constitue un tournant dans la détérioration de la situation sécuritaire au Maghreb.
Un groupe armé étranger — algérien, en l'occurrence — a mené une opération contre une base militaire faisant une quinzaine de victimes et une vingtaine de blessés, marquant la première et la plus sanglante attaque terroriste dans l'histoire de ce pays.
Dans la région, cela ne s'était pas vu depuis les derniers combats entre l'armée marocaine et le Front Polisario, durant les années 1980. Mais, dans ce dernier cas, il s'agissait d'une guerre ouverte dans le cadre de la non-résolution de la question du Sahara occidental.
L'émancipation géostratégique des acteurs non étatiques transnationaux est assurément un signe des temps, mais les motivations du GSPC sont autrement plus singulières. Qu'un groupe islamiste algérien en arrive à monter une attaque contre les forces armées de la République islamique de Mauritanie en dit long sur la détérioration de la question sécuritaire dans la sous-région.
De fait, le gouvernement mauritanien fait face à un étrange dilemme ; ayant sonné l'alarme du "terrorisme islamiste" trop tôt ou un trop grand nombre de fois, il affronte aujourd'hui un sourd scepticisme alors qu'il est réellement victime d'une attaque revendiquée ouvertement par un dangereux groupe extrémiste dont les exactions sanguinaires sont avérées.
Originellement soupçonnés, les Cavaliers du changement — mouvement responsable de la tentative déjouée de coup d'Etat du 8 juin 2003 — ont, dans une déclaration publiée quatre jours plus tard sur leur site Internet, nié toute implication.
Depuis juin 2003, le gouvernement mauritanien a annoncé, à quatre reprises, soit qu'il venait d'échapper à une tentative de coup d'Etat militaire, soit qu'il avait déjoué un plan de déstabilisation du pays par des opposants islamistes.
Selon les autorités de Nouakchott, les frontières poreuses du vaste territoire mauritanien ont été traversées à maintes reprises par des commandos, tour à tour en provenance d'Algérie, du Mali, de la Libye et du Burkina Faso. Dans la capitale mauritanienne, sept individus ont ainsi été détenus le 25 avril 2005 et accusés d'affiliation à une "organisation terroriste", puis incarcérés à la prison civile de Nouakchott le 27 mai.
Avant la sanglante attaque du 4 juin dernier, la crise la plus aiguë remontait au 15 août 2004, lorsqu'un commando s'apprêtait, semble-t-il, à lancer un assaut simultané contre plusieurs garnisons, coordonné avec un attentat contre le chef de l'Etat mauritanien, qui devait se rendre en France ce jour-là. Dans son point de presse annonçant l'échec de cette tentative avortée de renversement, le ministre mauritanien de la défense n'avait pas manqué de mentionner les menaces proférées, le 29 juillet 2004, par le groupe du chef radical islamiste jordanien Abou Moussab Al-Zarkaoui contre la Mauritanie, dont ce mouvement, affilié à Al-Qaida, désapprouve les relations avec Israël.
La Mauritanie entretient en effet des relations diplomatiques avec Tel-Aviv depuis novembre 1995, relations élevées au rang d'ambassades en octobre 1999 à l'occasion d'une cérémonie à Washington parrainée par l'ancienne secrétaire d'Etat américaine Madeleine Albright. Le 2 mai 2005, le gouvernement mauritanien a accueilli à Nouakchott le ministre des affaires étrangères, Sylvain Shalom.
A l'évidence, le régime du président Ould Taya se sent en danger, et l'est visiblement, puisque la tentative de coup d'Etat de juin 2003, qui a ébranlé le système, n'avait échoué qu'après deux nuits d'âpres combats. Le chef de l'Etat mauritanien a d'ailleurs reconnu certains des problèmes du pays dans un discours inhabituellement autocritique, tenu quelques mois plus tard dans la ville de Kiffa, et a montré du doigt ses divers gouvernements pour ne pas avoir suivi ses instructions...
De fait, l'opinion mauritanienne s'attendait, si ce n'est à un changement de cap radical, du moins à des réformes au sein d'un système sclérosé qui n'a jamais réellement su amorcer de dialogue avec les divers acteurs politiques.
Le pouvoir a pourtant, par la suite, radicalisé son discours et ses méthodes, provoquant la désaffection à l'égard du projet d'Etat de droit, qui semble stagner depuis plus d'une décennie. A cette aune, l'aliénation parallèle et cumulative de trop de partis et d'acteurs différents apparaît comme l'une des raisons du regain de tension en Mauritanie et de la confusion qui a suivi l'annonce de l'attaque contre Lemgheiti. Ayant rechigné à traiter avec l'opposition légale et pacifique, le régime se retrouve, aujourd'hui, face à des adversaires clandestins et armés (les Cavaliers du changement et le GSPC).
Pour les observateurs étrangers, toute instabilité de ce pays, qui est sur le point de devenir à partir de mai 2006 un important producteur de pétrole et de gaz, menacerait les investissements de près de 1 milliard de dollars engagés par les firmes pétrolières australiennes depuis la découverte de l'or noir en Mauritanie, en 2001.
Or, le poste militaire de Lemgheiti, lieu de la récente attaque du GSPC, se trouve dans la zone géologique du Taoudeni, attribuée sous forme de blocs d'exploration à la firme australienne Woodside, et à proximité des blocs attribués à la compagnie française Total.
Dans le contexte d'une politique américaine visant à réduire sa dépendance du pétrole en provenance du Moyen-Orient et sa lutte globale contre le terrorisme dans le cadre de l'initiative Pan Sahel, lancée en octobre 2002, on comprend que le sort du régime mauritanien ne laisse pas indifférentes les autorités américaines. A l'origine du rapprochement entre Washington et Nouakchott, l'ex-secrétaire d'Etat Colin Powell avait, pour la première fois dans l'histoire des deux pays, invité, le 21 juin 2004, le ministre mauritanien des affaires étrangères, Mohamed Vall Ould Bellal, à des discussions bilatérales tenues à Washington, suivies en avril 2005 par le démarrage des réunions de consultation annuelles entre les deux gouvernements.
Le nouvel allié des Etats-Unis dans cette région de l'Afrique ne saurait désormais être négligé. De fait, une mission militaire américaine est arrivée à Nouakchott quarante-huit heures après l'assaut lancé par le GSPC.
A une légitime inquiétude sécuritaire, que partagent les amis de Nouakchott — en premier lieu le Maroc, les Etats-Unis, le Qatar et la France —, s'ajoute aujourd'hui la menace d'un acteur régional inattendu dont l'entrée en scène a eu le mérite de rassembler l'ensemble de la classe politique mauritanienne, même si, tentation centrifuge aidant, la promotion d'un discours constructif se trouve aujourd'hui dégradée par les remous d'une violence qui est en passe de prendre le dessus des relations sociales et politiques de ce pays pacifique.
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Mohammad-Mahmoud Ould Mohamedou est directeur-adjoint du Programme de droit humanitaire et de recherches sur les conflits à l'université Harvard (Etats-Unis).

Article paru dans l'édition du 09.07.05

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