8.7.05

Les spécialistes du terrorisme privilégient la "piste irakienne"

LE MONDE | 08.07.05 | 14h00
BRUXELLES de notre bureau européen

Au moment où des bombes explosaient à Londres, jeudi 7 juillet, la présidence britannique de l'Union européenne présentait, à Bruxelles, son plan d'action pour la sécurité, en présence, notamment, de Gijs de Vries, le coordinateur de la politique antiterroriste de l'UE. Les experts n'ont pas tous été surpris par l'annonce de ces attentats. "Les autorités britanniques ont toujours dit à haute voix qu'il fallait prendre en compte un risque élevé dans leur pays" indiquait ainsi, au Monde , M. de Vries.
Les services européens savaient que plusieurs cellules islamistes préparant des attentats avaient été démantelées en Grande-Bretagne depuis 2001. Et qu'en août 2004, l'arrestation, au Pakistan, de Mohammed Naim Noor Khan, un expert en informatique, avaient entraîné l'interpellation, à Londres et Blackburn, de huit personnes, soupçonnées de préparer une attaque chimique. Noor Khan, gestionnaire présumé du réseau de communication d'Al-Qaida, avait évoqué une attaque à l'aéroport d'Heathrow, ce que ses complices n'ont jamais confirmé.
Les craintes des spécialistes de l'UE étaient renforcées par les informations selon lesquelles soixante-dix musulmans vivant en Grande-Bretagne, d'origine pakistanaise pour la plupart, auraient rejoint, en 2004, la résistance irakienne dirigée par Abou Moussab Al-Zarkaoui. Le retour, en Europe, des " djihadistes internationalistes" capables d'organiser des attentats est présenté par les experts du renseignement comme l'une des principales menaces actuelles.
Peu après les attentats de Londres, la "piste irakienne" était jugée, la plus sérieuse, Al-Zarkaoui disposant notamment d'un réseau bien implanté en Grande-Bretagne via Ansar Al Islam, le mouvement islamiste formé en 2001 dans le nord de l'Irak, avec le soutien d'Al-Qaida et du régime irakien, qui était désireux de l'utiliser contre les indépendantistes kurdes. Une source, requérant l'anonymat jugeait "crédible" la revendication, jeudi, sur un site islamiste par un groupe, dénommé Organisation secrète du Djihad d'Al-Qaida en Europe. Groupe qui annonçait de futures représailles contre le Danemark et l'Italie, en raison de leur présence militaire en Irak et en Afghanistan.
D'autres spécialistes se disaient d'autant moins étonnés qu'ils avaient souligné à diverses reprises les risques inhérents à la politique de tolérance suivie pendant longtemps par les autorités britanniques. "Le moment est mal choisi, mais il faut oser dire que Londres paie sans doute des années d'erreurs, au cours desquelles des organisations radicales saoudiennes, marocaines, algériennes, pakistanaises, yéménites ou turques ont pu installer leurs quartiers généraux, publier leurs bulletins, ouvrir des sites web et trouver des financements pour leurs activités" commente Claude Moniquet, directeur de l'Esisc, un centre de recherche sur la sécurité.
Cette tolérance a, selon d'autres analystes, présenté un grand avantage : elle a permis à Scotland et au MI5, le service de renseignement intérieur, d'amasser des informations sur les groupes islamistes. Beaucoup critiquent cette stratégie qui n'a pas permis d'identifier à temps le commando du 11 septembre 2001 à New York, dont la moitié des membres étaient passés par Londres, pas plus que Richard Reid, l'homme qui faillit faire exploser un avions à l'aide d'une chaussure piégée. Ou encore les cellules djihadistes démantelées depuis qui avaient, presque toutes, un lien avec les islamistes londoniens radicaux.

RENFORCER LES ÉCHANGES

En attendant des détails sur l'organisation des terroristes qui ont agi à Londres (groupe "interne", opérateurs externes etc.) les services des Vingt-cinq continuent de souligner que seule une forte mobilisation a permis, depuis 2001, de déjouer une douzaine d'attentats majeurs en Europe. Ils font cependant remarquer que les intérêts européens ont déjà été visés ailleurs dans le monde. Ils s'inquiètent aussi de l'évolution commencée à Casablanca en mai 2003, poursuivie à Madrid en mars 2004, puis à Londres jeudi : en raison de la mobilisation policière, les terroristes prennent désormais des initiatives au niveau local, attaquant des cibles destinées à faire de nombreuses victimes, comme les transports en commun. Ces attentats sont presque impossibles à prévenir.
L'un des seuls remèdes envisageables ne peut être qu'un renforcement de la coopération et de l'échange d'information, soulignent différents acteurs. Or, deux tiers des mesures nécessaires identifiées après les attentats de Madrid (unification des législations, contrôle plus grand du financement terroriste) n'ont pas encore été exécutées.

Jean-Pierre Stroobants
Article paru dans l'édition du 09.07.05

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