13.7.05

La politique étrangère d’un Etat sous surveillance

Depuis plusieurs semaines, Damas multiplie les gestes envers Bagdad : depuis la mi-juin, elle a augmenté le débit de l'Euphrate vers l'Irak, offrant à son voisin des quotas d'eau plus importants afin de « l'aider à passer la saison sèche ». En outre, comme pour désamorcer les critiques américaines, elle organise des tournées organisées pour des journalistes et des diplomates occidentaux afin de prouver que sa frontière avec l'Irak est bien surveillée. Enfin, Damas a envoyé une délégation à Bagdad pour discuter de la normalisation des relations diplomatiques, rompues depuis vingt-trois ans, à travers l'ouverture d'ambassades.
La disparition du régime irakien concurrent dans la domination régionale semble ramener le Ba‘as syrien à une politique plus traditionnelle d’amitié avec son arrière-pays irakien. Il est également vrai que ses relations avec l’Egypte et l’Arabie saoudite ne fonctionnent plus, pour diverses raisons. Mais la politique de Damas correspond aussi à un moment particulier, celui où Washington cherche une porte de sortie en Irak. Et la Syrie n’a jamais considéré que les salafistes, pas plus qu’une division de l’intégrité irakienne, notamment par la création d’un Etat kurde indépendant, étaient une alternative acceptable à Saddam Hussein.
Si la « détente » entre Bagdad et Damas en est encore au stade de l'ébauche, certains s'interrogent sur la volonté réelle de la Syrie de repartir sur de nouvelles bases avec son voisin. Jusqu'à présent, l'Irak est le plus grand « fiasco » de sa diplomatie. Alors qu’elle avait tout à gagner de la chute de Saddam Hussein, dont elle abritait les opposants, elle n'a pas su profiter de la nouvelle donne. Par calcul ou par aveuglement, le fils du « Bismarck du Moyen-Orient », selon le mot de ce « Dear Henry » Kissinger, a misé exagérément sur un enlisement américain. Les liens économiques noués entre la nomenklatura syrienne et les ba‘asistes irakiens, à l'ombre du programme « pétrole contre nourriture », auraient ainsi achevé de brouiller la vue du régime. Ce n’est que tout récemment qu’elle a compris qu'elle faisait fausse route. Cette prise de conscience a été douloureuse, puisque le révélateur a été son isolement à la conférence sur l'Irak de Bruxelles, fin juin. Le véritable changement viendra lorsque Damas décidera de jouer cartes sur table et renoncera à bâtir ses relations diplomatiques en fonction de « sa capacité de nuisance ».
Un autre pays riverain de l’Irak est en train de faire son retour à Bagdad. La démarche est assez différente du cas syrien. D’abord parce que les deux pays étaient véritablement ennemis, pas simplement concurrents, du temps de Saddam Hussein. Leur frontière commune était une véritable ligne de choc comme l’entend Samuel Huntington. La nouvelle donne politique irakienne, avec l’avènement de la majorité chi‘ite au pouvoir, offre de nouvelles perspectives à l’Iran. Là où Téhéran rejoint Damas, hormis dans une ancienne alliance stratégique d’encerclement de l’Irak, c’est dans sa nécessité de quitter l’isolement régional dans lequel elle baigne depuis son échec à exporter sa révolution islamique. Selon des sources diplomatiques à Bagdad, des contacts intergouvernementaux irako-iraniens ont eu lieu dans la première semaine de juillet. Ils avaient été présentés de façon très générale et très vague aux Américains, notamment le volet défense, et la précision des accords a été pour les Américains une surprise complète. « Comme d’habitude, explique une de ces sources, les Américains pêchent par leurs défauts bien connus : suffisance, lorsqu’ils croient tenir suffisamment les Irakiens pour n’avoir pas à suivre de près les activités du gouvernement, incapacité de se concentrer sur plus d’un domaine et, pour l’instant, c’est la lutte contre l’insurrection intérieure qui les mobilise »
Les contacts entre l’Irak et l’Iran, avec la visite du ministre de la défense irakien à Teheran, se sont conclus jeudi 7 juillet, tandis qu’une nouvelle visite irakienne est annoncée pour cette semaine. Cette évolution n’est pas en soi surprenante compte tenu de la logique qui s’est développée. Elle montre combien l’intervention américaine est unanimement considérée comme un « accident » extérieur que la nature et la force des choses rejettent. Les dirigeants irakiens, même compromis avec les Américains, savent parfaitement que le jeu de la coopération complète avec les Etats-Unis n’a aucun sens, puisqu’elle est forcément limitée dans le temps. Ils savent que les Américains sont en Irak pour des motifs « techniques » (pétrole, bases) précis, mais sons réels motifs politiques pour l’Irak. Pour les questions « techniques », même si l’actuel gouvernement irakien peut difficilement s’y opposer, le succès est loin d’être évident pour les Américains (notamment à cause de l’activité de la subversion). Pour les questions politiques, par contre, le gouvernement irakien a beaucoup plus de latitude qu’il ne pouvait imaginer.
Le rapprochement de l’Irak avec ses voisins syriens et iraniens est donc dans la nature des choses. Avec les premiers, la portée des engagements sera forcément limitée et répondra largement aux impératifs américains ; en effet, les Etats-Unis ne cessent d'enjoindre la Syrie de mieux contrôler sa frontière avec l'Irak, qui serait une passoire pour les candidats au Djihad de tous bords désireux de grossir les rangs de l'insurrection irakienne. Avec l’Irak, la configuration initiale est naturellement différente. Et les Irakiens ont déjà donné aux Iraniens l’assurance qu’il n’y aurait pas d’attaque contre l’Iran à partir de leur sol. Ainsi se démarquent-ils des velléités guerrières, certes largement feintes compte tenu de la situation présente, de Washington contre Téhéran. Cette double évolution démontre cruellement les limites dramatiques de la puissance et de l’efficacité militaires américaines.

Aucun commentaire: