20.7.05

Le Caucase du Nord en passe d'échapper au contrôle de Moscou

LE MONDE | 20.07.05 | 13h59  •  Mis à jour le 20.07.05 | 13h59

MOSCOU de notre correspondante

e spectre d'un embrasement du Caucase du Nord plane de nouveau sur la Russie de Vladimir Poutine, sept mois après que le président russe eut annoncé, lors d'une visite en Allemagne, qu'il n'y avait "plus de guerre en Tchétchénie depuis trois ans". Les pertes en vies humaines n'ont en réalité jamais cessé en Tchétchénie, que ce soit au sein des forces fédérales russes (25 000 soldats tués depuis le début du conflit en 1999, selon le Comité des mères de soldats), ou au sein de la population civile.
Les attaques de colonnes militaires à l'explosif et les embuscades armées conduites par la guérilla tchétchène se sont intensifiées ces derniers temps. Ces opérations coûteraient, en moyenne, la vie à deux soldats russes par jour. Les médias centraux, à Moscou, taisent l'ampleur de ces accrochages armés continuels.
De même, la pratique des enlèvements de civils, cautionnée publiquement l'an dernier par le procureur général de Russie, Vladimir Oustinov, ainsi que la torture à grande échelle des habitants enlevés dans des rafles, souvent "déléguée" par la hiérarchie militaire et les services secrets russes (FSB, services de sécurité de la Fédération) à des unités de supplétifs tchétchènes, sont également passées sous silence. Ces unités locales, qui comptent, selon les évaluations, entre 5 000 et 10 000 hommes, ont été mises sur pied dans le cadre de la politique de "tchétchénisation" du conflit souhaitée par M. Poutine pour rendre moins visible l'engagement des troupes fédérales (environ 100 000 hommes).
Réunies en plusieurs groupes appelés Vostok (Est), Zapad (Ouest), ou SB (services de sécurité), ces bandes armées tchétchènes, équipées et financées par Moscou, opèrent chacune sous la tutelle d'une structure centrale russe : le GRU (renseignement militaire), le FSB, ou encore l'état-major.
Seuls certains incidents, particulièrement lourds en victimes, font l'objet de comptes rendus dans les médias. C'est ce qui s'est produit mardi 19 juillet lorsqu'un véhicule militaire russe "Ouaz", transportant des miliciens tchétchènes et un représentant du FSB, a explosé dans la localité de Znamenskoe, à 60 km au nord de Grozny, la capitale tchétchène. L'attaque, revendiquée par la guérilla tchétchène sur le site Internet Kavkazcenter, a fait quatorze morts et une trentaine de blessés. Elle s'est déroulée en deux temps : d'abord une rafale d'armes automatiques contre le véhicule blindé, puis, après l'arrivée de renforts militaires sur place, une énorme détonation, provoquée par une bombe de 8 kilos de TNT, selon l'agence officielle russe Itar-Tass.
Vladimir Poutine est apparu dans la soirée à la télévision, demandant à son gouvernement de prendre des "mesures d'urgence" pour renforcer les frontières du sud de la Russie, après "ces événements tragiques" .

VISITE-ÉCLAIR DE M. POUTINE

La situation dans le Caucase du Nord, de l'avis même des commentateurs russes, est en train d'échapper au contrôle des autorités centrales. La déstabilisation de la République du Daghestan, devenue criante ces derniers mois, alarme particulièrement le pouvoir russe.
Une descente armée du groupe Zapad dans la localité tchétchène de Borozdinovskaïa, qui avait mené en juin une vague de réfugiés vers le Daghestan, a semé l'inquiétude. Le représentant spécial du Kremlin dans la région, Dimitri Kozak, s'est rendu sur place, comme à chaque fois qu'un incident survenu à proximité des frontières de la Tchétchénie menace de dégénérer. "-M.- Kozak ne fait que jouer les pompiers, à chaque nouvelle crise" , confiait récemment un dignitaire d'Ossétie du Nord.
Le Kremlin a récemment dépêché au Daghestan des renforts de troupes du ministère de l'intérieur. Sur le terrain, les arrestations et les tortures pratiquées par la police et le FSB contribuent à radicaliser une frange de la jeunesse qui se tourne vers l'islam fondamentaliste.
Peuplée de 2,1 millions d'habitants, dirigée depuis 1994 par un satrape local, Magomedali Magomedov, âgé de 75 ans, le Daghestan est une poudrière où s'affrontent mafias, groupes musulmans extrémistes et unités locales du FSB. Cette République comptant plus de cinquante ethnies a connu, au cours des six derniers mois, pas moins de 80 attaques armées, attentats à l'explosif et assassinats politiques visant en majorité des membres des forces de l'ordre, selon un décompte effectué par Radio Liberté. Un groupe radical islamiste, Shariat Djamaat, en a revendiqué certains.

Vladimir Poutine a effectué le 14 juillet une visite-éclair, restée secrète jusqu'à son départ pour des raisons de sécurité. "Nous allons renforcer notre position au Daghestan" , a-t-il déclaré après avoir visité un centre du FSB et rencontré une patrouille de garde-frontières. Le Kremlin peine à définir une stra- tégie pour sortir la région du chaos. Ayant supprimé par un coup de force constitutionnel, au lendemain de la prise d'otages de Beslan (Ossétie du Nord), l'élection directe des gouverneurs de région, le Kremlin peut difficilement s'en remettre à une stratégie électorale pour remplacer le dirigeant daghestanais vieillissant et discrédité.
Natalie Nougayrède
Article paru dans l'édition du 21.07.05

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