31.8.05

«Personne ici ne veut vivre en Palestine»

Plus de 80 % des colons de Teneh Omarim, en Cisjordanie, veulent être évacués.

Par Didier FRANCOIS
mercredi 31 août 2005

Teneh Omarim envoyé spécial

Dix ans durant, sans compter sa peine, Shmoulik a bâti la maison de ses rêves, modelant, pièce à pièce, son petit univers. Un salon, décoré avec goût. Un cellier cache de bonnes bouteilles qu'il déguste sur une vaste terrasse à la vue imprenable. Sur une colline pelée, la colonie de Teneh Omarim domine les étendues arides de la Cisjordanie, au nord de Beersheva. Comme tous les résidents de cette implantation, c'est bien de son jardin que Shmoulik se montre le plus fier. Fleurs et fruits à foison. «Bien sûr, aucun d'entre nous ne quittera sans regrets ce paradis, concède-t-il, mais la barrière de sécurité d'Israël passera à 5 km au sud de chez nous. Ce qui nous place en territoire palestinien. Dans ce cas, je préfère que le gouvernement nous évacue comme il a évacué Gaza. Au moins, nous pourrons bénéficier des lois d'indemnisation.»
Succès inattendu. A l'initiative d'Eliezer Wieder, un voisin, certains résidents de Teneh Omarim ont donc décidé de s'adresser aux autorités pour réclamer que leur colonie soit intégrée dans un plan de retrait. Et leur pétition improvisée semble avoir rencontré un succès inattendu. «Je ne sais pas combien de personnes l'ont signée, explique Shmoulik, mais si le tracé de la barrière de sécurité n'est pas modifié, la grande majorité des habitants partira. Le problème, c'est que nombre d'entre eux n'ont pas les moyens de rebâtir une vie ailleurs. C'est pourquoi nous avons décidé de prendre les devants.» Lundi, Eliezer Wieder a annoncé sur Kohl Israël, la radio nationale, «la volonté de plus de 80 % des habitants de Teneh Omarim d'être évacués». Véritable bombe politique parmi les colons, très opposés au retrait, et pour qui le sud de la Cisjordanie constitue un bastion.
Propulsé bien malgré lui sur le devant de la scène, Yossi Mazouz tente de faire bonne figure. Dans le bureau administratif de Teneh Omarim, le téléphone sonne sans répit alors que se croisent, à la porte du maire, journalistes intrigués et représentants furibards du mouvement des colons. «Trahison !» peste l'un d'eux. «Ce n'est rien, bredouille l'élu. L'initiative isolée d'un individu dérangé qui cherche à se faire de l'argent.» Pourtant, rares sont les résidents rencontrés qui condamnent la pétition. Torse nu dans ses vignes, pistolet à la ceinture, Josef Jesmore est l'un de ces irréductibles. Immigré récent en Israël, ce retraité des marines a quitté le Texas en 2001 pour venir s'installer sur ces collines qu'il considère «comme la ligne de défense naturelle de la plaine du Néguev». L'ex-militaire n'a jamais vu la pétition. «Personne ne me l'a montrée. Soit parce que je ne parle pas hébreu, soit qu'ils savent que je suis un sioniste convaincu.»
Future frontière. Shmoulik, un sabra (natif d'Israël), sourit. «La plupart des résidents n'ont pas de motivation idéologique. J'ai choisi de m'établir ici, il y a dix ans, parce que jamais je n'aurais pu m'offrir une villa et un jardin en Israël. L'an dernier, l'armée a dressé un barrage plus au sud. L'effet a été immédiat. Nous avons compris que nous étions en territoire palestinien. Du jour au lendemain, tous les taxis ont augmenté leurs prix ou refusé de venir ici. Le prix de nos propriétés s'est effondré. A la fin, nous devrons partir, car tout le monde sait que le tracé de la barrière de sécurité délimite la future frontière d'Israël et personne, ici, ne veut vivre en Palestine.»

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