16.8.05

Tom Sergev : «Le début d'une ère post-sioniste»

L'historien estime que les implantations israéliennes de Gaza n'ont jamais été considérées comme faisant partie d'Israël

L'historien et journaliste Tom Sergev est l'auteur de nombreux ouvrages sur l'histoire d'Israël et de la Palestine à l'époque du mandat britannique.

Propos reccueillis par A. J.
[Le Figaro, 16 août 2005]


LE FIGARO. – Comment a été prise la décision de coloniser Gaza ?

Tom SEGEV. – De façon assez irrationnelle, comme beaucoup de choses dans ce pays. Gaza avait été brièvement occupé en 1956, avant d'être restitué à l'Egypte en 1957. A la veille de la guerre des Six-Jours, le ministre de la Défense, Moshe Dayan, donne pour consigne à l'état-major de ne pas entrer dans Gaza. Pour lui, trop de Palestiniens vivaient sur ce territoire, et mieux vaut éviter de l'occuper. Mais lorsque la guerre éclate, l'armée entre quand même dans Gaza. L'euphorie qui suit la victoire de 1967 est telle que tout le monde en Israël tombe d'accord pour garder Gaza. Quand en 1978 la paix est signée avec les Egyptiens en échange de la restitution du Sinaï, Begin est très fier de ne pas avoir eu à rendre Gaza. A mon avis, il manque une occasion de régler le problème à ce moment-là.

Le démantèlement des colonies de Gaza représente-t-il un tournant dans l'histoire israélienne ?

Je ne pense pas que les colonies de Gaza vont rester dans les mémoires. Ces implantations n'ont jamais réussi à être considérées comme une partie d'Israël. Il a fallu mobiliser d'énormes moyens pour maintenir ces colonies. Les colons prétendent devoir quitter une paisible vie au bord de la mer, alors que leurs enfants devaient être accompagnés à l'école par l'armée. C'est une communauté artificielle dans un environnement artificiel. Les colons ont été envoyés là-bas pour des raisons politiques, le gouvernement les rappelle aujourd'hui parce que la politique a changé, c'est tout.

Est-ce un renoncement politique majeur ?

Les colons prétendent incarner l'idéologie sioniste, selon laquelle chaque implantation juive participe à la sécurité de l'ensemble de l'État. Mais les sionistes raisonnaient de façon totalement opposée. Ils évitaient de fonder leurs communautés dans des zones déjà fortement peuplées. En 1948, alors qu'Israël avait les moyens militaires d'envahir la Cisjordanie, Ben Gourion estimait que trop de Palestiniens y vivaient. Dayan raisonne de la même façon quand il ordonne à l'armée de ne pas réoccuper Gaza au début de 1967. La société israélienne entre dans une période post-sioniste. Les gens considèrent que la majorité des buts historiques du sionisme ont été atteints et se préoccupent plus de leur sécurité et de leur qualité de vie.

Le retrait procède donc d'une approche plus pragmatique ?

Oui, il s'agit d'un petit pas vers une gestion plus rationnelle du conflit israélo-palestinien. Le démantèlement des colonies de Gaza supprime un élément de tension, mais ce n'est qu'un ajustement tactique.
Plus personne ne croit à un accord de paix global à présent. Mais ce que nous pouvons faire en revanche, et c'est ce qui motive la décision de Sharon de se retirer de Gaza, c'est de trouver des solutions qui rendent la vie moins difficile à tout le monde.
Le retrait de Gaza ne va pas satisfaire les objectifs nationaux des Israéliens ou des Palestiniens. Les Palestiniens obtiennent plus de terre, plus d'eau, et une petite victoire. Sharon pense comme un militaire. Le général Sharon rectifie son front, en évacuant une position qui lui coûte trop cher à tenir, rien de plus. Un véritable homme d'Etat aurait lié la restitution des colonies de Gaza à un plan de paix. Mais il prend le risque de laisser les terroristes palestiniens croire à une victoire.

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