21.9.05

Asymétrie mafieuse

Pour une fois, nous ne nous attarderons pas sur les élucubrations d’un barbu récupérateur, même si nous parlerons pourtant de terrorisme. Mais al Qaïda ne peut être rendue responsable de tout, même si cela est bien commode. Rendons-nous en Croatie, à Zagreb, où une explosion a eu lieu hier matin dans les locaux de l’ambassade de Grande-Bretagne, rue Alexandar von Humbolt. L’employé croate chargé du courrier a été blessé.
Bien que les informations officielles sur cet acte terroriste soient publiées d’une façon très limitée, les sources proches de l’enquête affirment qu’il s’agit probablement d’une lettre ou d’un paquet bombe du type M-75, qui se trouvait dans le paquet de journaux arrivé le matin même à l’Ambassade. Après avoir coupé et tiré la ficelle qui liait le paquet de journaux, l’employé Damir Rovisan, 26 ans, a probablement sorti le détonateur de la bombe, connue sous le nom d’« œuf-kinder », rempli de grains de plomb. La bombe a explosé, mais la détonation a été atténuée par les journaux dans lesquels elle était cachée, ce qui fait que l’employé n’a été atteint que par deux ou trois grains qui l’ont blessé à la jambe.
L’Ambassadeur Ramsden a confirmé hier aux journalistes qu’avant cette explosion, son ambassade n’avait pas reçus de menaces et il a ajouté qu’il ne pouvait pas commenter les détails de l’événement. De son côté, le gouvernement croate a sévèrement condamné l’explosion. Le Premier ministre Ivo Sanader a informé le ministère des Affaires intérieures que tous les services compétents étaient en train d’explorer les détails liés à cet événement. Selon lui, il s’agit d’un acte commis contre la politique de rapprochement de la Croatie vers l’Union Européenne. Pour Vladimir Seks, le président du Sabor croate (Parlement), « cet acte criminel est la confirmation de la thèse selon laquelle le terrorisme représente aujourd’hui la plus grande menace et un danger global pour l’humanité, le monde civilisé, la paix ainsi que pour la démocratie. Je m’attends à une enquête rapide et efficace de la part des organes et des institutions compétentes de la République de Croatie, je m’attends également à ce que la justice s’assure de l’identité des inculpés pour ce crime et les punisse de manière adéquate ».
Les hypothèses des médias britanniques sur le possible lien entre cet événement et l’euroscepticisme croissant en Croatie sont « entièrement fausses et non fondées ». Il suggère que ces médias « devraient plutôt se poser la question de la source de cette antipathie envers la Grande-Bretagne, sans rejeter tout de suite la faute sur la Croatie, qui n’a rien à avoir avec cet événement ». Vladimir Seks considère qu’il s’agit ici d’une attaque contre les intérêts britanniques, ce qui est clairement en lien avec la politique que la Grande-Bretagne mène dans le monde.
Les journalistes se sont bien interrogés sur un éventuel lien entre l’explosion d’hier et les menaces qu’ont reçues les ambassades des pays occidentaux au début de cette année dans le cadre du terrorisme islamique. Mais Ivo Sanader a prétendu que « tout ce qui se passe est sous contrôle », cet acte n’ayant rien à voir ni avec les menaces mentionnées, ni avec les terroristes islamiques. A son avis, l’hypothèse selon laquelle la Croatie avait été victime d’une attaque d’al Qaïda étaient tendancieuses. Et de préciser qu’il fallait mieux surveiller la diffusion d’informations non-vérifiées qui relèvent du domaine de la sécurité nationale. D’ailleurs, son gouvernement a déjà pris des mesures afin d’améliorer le système juridique et de sanctionner sévèrement les fonctionnaires et d’autres personnes susceptibles de laisser circuler en public des informations d’un caractère confidentiel. Quant au ministre croate de la Défense, Berislav Roncevic, il avait affirmé, deux jours plus tôt, que la Croatie n’était pas la cible des terroristes ; bien entendu, l’explosion à l’ambassade le laissait sans commentaire.
S’il était fallait se garder d’incriminer la mouvance islamiste, le gouvernement semblait s’orienter trop rapidement dans une direction locale et européenne. Comme l’avait fait, le 11 mars 2004, son homologue espagnol avec la piste d’ETA, serait-on tenté de clamer dans une vision conspirationniste. Mais la thèse du complot ne tient pas. Pas plus que celle de l’orientation européenne choisie officiellement d’ailleurs. L’asymétrie est ici totale. D’un côté se trouve l’ambassade d’un pays impliqué dans le lutte planétaire contre le terrorisme islamique, combattant fièrement aux côtés des troupes américaine. De l’autre, un petit pays balkanique, soumis au règne des mafias et des trafics en tout genre, après une guerre dévastatrice. Deux mondes apparemment inconciliables autrement que dans les rôles respectifs de « puissance impériale » et de « comptoirs ». La Croatie n’est pas « terrae incognitae », mais elle n’appartient pas encore à l’« Empire » ; peut-être rejoindra-t-elle l’Europe d’ici à la fin de la décennie, intégrant de fait cette citoyenneté impériale ? Mais, pour l’heure, elle n’est qu’un « comptoir », une passerelle frontalière avec l’inconnu.
Dans cet ordre d’idée, l’inconnu est partout. A commencer par la Croatie, où grouillent toute une série de malfrats, anciens miliciens du temps de la guerre ou nouveaux mafieux immigrés. L’asymétrie commence ici, nul besoin des islamistes comme caution. Ces milieux interlopes disposent des moyens militaires de frapper où ils veulent, quand ils veulent, mais de manière limitée. Le terrorisme est donc leur seule expression possible. Or, les pays de l’OTAN sont impliqués dans la chasse aux criminels de guerre et, comme chacun le sait, la Croatie en est un repère des mieux fournis. Rien à voir, donc, avec l’islam, ni avec la négociation gelée avec l’Union européenne.
Revenons à l’Ambassade de Grande-Bretagne à Zagreb. Comme dans toutes les légations britanniques, le bureau en charge du courrier dispose d’un matériel dédié à la détection la présence éventuelle d’un explosif ou métal dans une lettre ou colis. Trop grand, le paquet des journaux n’a pas été vérifié par cet appareil. Vraiment ? En fait, Damir Rovisan a reconnu avoir lui-même déposé et activé la bombe, a déclaré hier soir le ministre de l’Intérieur au cours d’une conférence de presse. Le ministre a écarté toute piste terroriste, en évoquant des liens avec le « milieu ». Cependant, les motivations de l’employé demeurent inconnues…

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