22.9.05

L'image de Blair malmenée par un de ses ex-conseillers en communication

ROYAUME-UNI Dans un livre décapant

Londres : de notre correspondant Jacques Duplouich
[Le Figaro, 22 septembre 2005]

Tony Blair, bien malgré lui, flotte sur la rentrée politique comme un esquif malmené par une onde furieuse. Entre l'agressivité de ses adversaires Conservateurs et les chroniques assassines sur sa politique irakienne, le premier ministre est ballotté, bord à bord. Les révélations dévastatrices sur sa personnalité, venues d'un ancien «spin docteur» du cabinet, viennent ajouter à ses tourments. Sous le titre Carnets d'un conseiller en communication (1), Lance Price, ancien journaliste de la BBC avant de devenir le «numéro deux» de la communication de Tony Blair, livre le récit coloré de ses années à Downing Street, de 1998 à 2001. Son journal est édifiant et décapant, selon les bonnes feuilles publiées par l'hebdomadaire dominical The Mail on Sunday. La personnalité du premier ministre, forgée, précisément, par les «spin docteurs», ces conseillers qui sont tout à la fois metteurs en scène de l'information, maquilleurs et maquignons au besoin, y est mise à mal, tout comme sa manière de faire la politique.
Price détaille l'obsession de Blair avec les médias. Soit qu'il se croit tenu de complaire obligeamment aux campagnes populistes des tabloïds, soit qu'il presse les gazettes, par «spin docteurs» interposés, de remplacer un événement peu flatteur pour le gouvernement par un autre, moins embarrassant. L'auteur fournit plusieurs exemples de cette pratique. Comme cette décision improvisée du chef du gouvernement, à l'insu des ministres compétents, de «déclarer la guerre à la toxicomanie», une demi-heure avant un entretien télévisé. Pour faire oublier une méchante querelle avec Gordon Brown, le chancelier de l'Echiquier.
Avec le «spin doctoring» comme instrument de communication et l'improvisation en lieu et place de réflexion, le mensonge figure en bonne place dans l'art blairiste de faire de la politique, souligne Lance Price. Comme lorsque Downing Street affirma, faussement, que Peter Mandelson, l'actuel commissaire européen au commerce, alors ministre de l'Industrie, mêlé à un scandale financier, avait offert de démissionner.
Et puis, derrière le Tony Blair policé, urbain, toujours soucieux de séduire, existe un homme d'une surprenante trivialité, jurant comme un charretier. Dissimulateur, aussi. Il a toujours assuré qu'il n'engageait les troupes britanniques dans un conflit qu'avec «le coeur lourd». En fait, écrit Lance Price, en 1998, lors des premiers bombardements aériens contre l'Irak, «TB jouissait plutôt (...) en ordonnant l'action des boys» et flairant «le premier sang» de son quinquennat. Toutefois, ce passage n'apparaît pas tel quel dans le livre. Sous la pression de Downing Street, l'auteur a dû affadir son texte. «J'ai le sentiment que TB éprouve des sentiments mitigés en ordonnant l'action des boys», écrit-il finalement.
Price souligne, aussi, avec quels égards le premier ministre traite Rupert Murdoch, le magnat australo-américain des médias, pourfendeur de l'Europe. Il l'aurait assuré que la politique européenne du Royaume-Uni «ne serait pas modifiée sans qu'il soit consulté». Une obligeance intéressée, sans doute, sachant qu'avec ses publications Rupert Murdoch regroupe plus d'un tiers du lectorat britannique. Toutes ont appelé à voter travailliste lors des trois dernières élections législatives.
C'est aussi à Murdoch qu'il a confié son dédain de la BBC pour sa couverture des ravages de l'ouragan Katrina aux Etats-Unis. Une couverture «biaisée, pleine de haine envers l'Amérique et de jubilation» pour son épreuve, selon le premier ministre cité par Rupert Murdoch, propriétaire du réseau satellitaire Sky, rival de la BBC et détracteur systématique de la grande institution publique.
Au livre décapant de Lance Price, deux barons Conservateurs ajoutent des attaques au vitriol contre le premier ministre. Kenneth Clarke, l'ancien ministre des Finances de John Major, l'accuse d'être «un tyranneau» qui a «dévalué la politique et les politiciens de ce pays». Lord Patten, dernier gouverneur de Hongkong et ex-Commissaire européen aux Relations extérieures, le qualifie d'«opportuniste» non moins qu'«obséquieux» avec George W. Bush et «moralisateur» à la mode pharisienne.
C'est l'automne et la politique reprend ses droits. Tony Blair subit le feu croisé de ses critiques. Lance Price, lui, s'est installé en France où, sagement, il gère un petit hôtel.

The Spin Doctor's Diary publié par Hodder.

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