16.9.05

Des officiers israéliens menacés de poursuites internationales

PROCHE-ORIENT Deux d'entre eux ont dû annuler un voyage à Londres de peur d'être arrêtés

Jérusalem : de notre correspondant Patrick Saint-Paul
[Le Figaro, 16 septembre 2005]

Les officiers supérieurs de Tsahal préfèrent éviter la Grande-Bretagne. Craignant d'être arrêté pour «crimes de guerre», l'ex-chef d'état-major de l'armée israélienne, le général de réserve Moshé Yaalon, a annulé un voyage à Londres. Dimanche, l'ancien commandant de la région sud d'Israël, le général de réserve Doron Almog, avait échappé de peu à une arrestation à l'aéroport international d'Heathrow. L'actuel chef d'état-major, le général Haalutz, risque lui aussi l'interpellation s'il foule le sol britannique.
Ces officiers supérieurs se retrouvent sous la menace de poursuites internationales, pour «crimes de guerre» alors qu'ils n'ont jamais eu à rendre de comptes devant la justice israélienne. Le ministre des Affaires étrangères, Sylvan Shalom, a jugé, mercredi, «scandaleuse» la possibilité que des officiers israéliens soient traduits en justice en Grande-Bretagne pour de tels crimes.
Invité par une association d'aide aux soldats israéliens, pour lever des fonds en Grande-Bretagne, le général Yaalon a renoncé in extremis à son séjour londonien. Le mandat d'arrêt délivré en Grande-Bretagne contre le général Almog l'a convaincu d'annuler son voyage, car il pourrait être poursuivi dans le cadre de la même affaire. Dimanche, des policiers de l'unité spéciale antiterroriste attendaient le général Almog à son arrivée à Heathrow. Prévenu à temps, par le ministère israélien des Affaires étrangères, qui avait eu vent du mandat d'arrêt par son ambassade à Londres, le général Almog n'a pas débarqué du vol El Al Tel-Aviv - Londres.
Saisi par le Centre palestinien des droits de l'homme, basé à Gaza, un juge avait délivré un mandat contre lui. Il est reproché à Almog son implication dans l'assassinat ciblé du chef militaire du mouvement islamiste Hamas, Salah Chéhadé, le 22 juillet 2002 à Gaza. Un F 16 avait largué une bombe d'une tonne sur un immeuble, tuant, outre Chéhadé, 14 innocents dont 8 enfants. «Nous représentons des centaines de victimes palestiniennes et nous n'avons pas l'intention de nous en tenir au seul général Almog, dans des recours à des instances internationales, vu que la justice israélienne n'a pas tenu compte de nos appels», affirme Raji Sourani, le directeur du centre.
L'organisation pacifiste israélienne Yesh Gvoul («Il y a une limite») s'est associée à cette démarche et à deux autres plaintes contre le général Yaalon et l'actuel chef d'état-major, Dan Haalutz, commandant de l'armée de l'air à l'époque. Le général Haalutz avait déclenché une vive polémique lorsqu'il avait été entendu par la justice israélienne à ce sujet en déclarant que cette affaire ne l'empêchait pas de dormir. Lorsqu'on lui avait demandé ce qu'il avait ressenti après le largage de cette bombe, l'ancien pilote avait répondu : «Une légère secousse dans l'appareil, qui a disparu en l'espace d'une seconde.»
Aucune des plaintes déposées devant la justice israélienne dans le cadre de cette affaire n'a abouti. Les ressortissants israéliens sont, par ailleurs, exempts de poursuites juridiques devant la Cour internationale de La Haye, Israël n'ayant pas ratifié le traité de Rome établissant cette cour. Mais la Belgique, l'Espagne, l'Allemagne et la Grande-Bretagne ont légiféré pour conférer à leurs cours une autorité judiciaire universelle concernant les crimes contre l'humanité, les crimes de guerre et les actes de génocide. Yesh Gvoul a saisi Interpol pour demander qu'un mandat d'arrêt international soit délivré à l'encontre du général Almog, qui avec d'autres officiers supérieurs impliqués dans cette affaire, pourrait ainsi être empêché de voyager en Europe. Ce type de plaintes risque de se multiplier à l'avenir, alors que les révélations et les témoignages accablants contre les agissements de Tsahal depuis le début de la seconde intifada s'accumulent ces quelques mois. Ainsi, l'association israélienne Breaking The Silence, qui regroupe d'anciens soldats de Tsahal, a publié, hier, un rapport sur les agissements de l'armée depuis septembre 2000, fondé sur plusieurs témoignages de soldats.
Breaking The Silence note qu'au cours de la première intifada (1987-1993), chaque soldat disposait d'un manuel définissant clairement les règles d'engagement permettant d'ouvrir le feu. «Depuis la seconde intifada, il n'existe pas d'ordre écrit. Les ordres sont transmis oralement, note l'association. Ainsi des ordres irresponsables ont pu être donnés, ne faisant pas la distinction entre les terroristes et les civils innocents.»
Un exemple cité par l'organisation : «Tous ceux qui se trouvent dans la rue entre 1 heure et 4 heures du matin doivent mourir.» Des ordres visant à tuer les «obser vateurs» se trouvant derrière une fenêtre ou sur un toit ont aussi été donnés, affirme l'association. Selon l'organisation israélienne B'Tselem, sur les 3 269 Palestiniens tués par les forces de sécurité israéliennes depuis cinq ans, environs 1 700 personnes seraient des civils, dont 654 mineurs.

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