15.9.05

LE MONDE | 15.09.05 | 13h19  •  Mis à jour le 15.09.05 | 14h00
NEW YORK (Nations unies) de nos envoyés spéciaux

A part le premier ministre français Dominique de Villepin, qui a insisté dans son discours sur l'épineux sujet de l'Iran et l'Irak, les chefs d'Etat et de gouvernement, réunis mercredi 14 septembre à New York, ont surtout fait assaut de promesses de multilatéralisme et d'engagements à soutenir les idéaux de la Charte de l'ONU. Dans un spectaculaire renversement des rôles, le président américain George Bush a tenu le "discours le plus onusien du jour" , comme l'a qualifié, avec satisfaction, un dirigeant de l'organisation. Si le premier ministre britannique Tony Blair a dénoncé le terrorisme comme une "doctrine de fanatisme" , M. Bush a déclaré que le terrorisme "se nourrit de la colère et du désespoir" .
Quelque 170 dirigeants mondiaux participent jusqu'à vendredi à ce sommet qui marque le 60e anniversaire des Nations unies. Mercredi, George Bush, Tony Blair, le président russe Vladimir Poutine, le brésilien Lula da Silva et le chinois Hu Jintao, Dominique de Villepin, se sont retrouvés autour de la table du Conseil de sécurité. L'ordre du jour était l'adoption d'une résolution britannique condamnant l'incitation au terrorisme. Le premier ministre français, qui remplaçait au pied levé un président de la République convalescent, a choisi de se singulariser dans ce sommet qui s'est ouvert quelques heures après la conclusion d'un accord in extremis sur un projet de déclaration commune. M. de Villepin, qui avait soigneusement préparé son intervention jusqu'à deux heures du matin, a rappelé que l'Irak était toujours "en crise" . Il a également tenu un discours tranchant sur l'Iran. Si un Etat manque à ses obligations, en l'occurrence en matière de non-prolifération nucléaire, il est "légitime, une fois épuisée la voie du dialogue, que le Conseil de sécurité soit saisi" , a-t-il dit.
Dans l'enceinte où il avait été applaudi il y a deux ans et demi, dans les rangs des spectateurs, pour sa défense passionnée de la poursuite des inspections en Irak, son discours a été suivi d'un silence, comme s'il avait troublé la fête en évoquant la nécessité de prendre en compte "la réalité telle qu'elle est" , une phrase qui ne figure pas dans son discours écrit mais qui vise l'administration Bush, accusée de minimiser la crise en Irak. Une phrase qui justifie aussi, selon le premier ministre, que le Conseil de sécurité "avec les autorités irakiennes, devra se pencher à nouveau sur cette question" . Autrement dit, qu'une nouvelle résolution prenne la relève de la résolution 1546 qui exigeait une nouvelle Constitution et des élections libres avant la fin de l'année. Cette demande française ne figurait pas jusque là sur l'agenda onusien.
Sur le terrorisme aussi, M. de Villepin a martelé la position française face à un Tony Blair qui, au contraire, a développé une vision qui n'aurait pas déparé dans la bouche des responsables américains sous la première administration Bush. "Autour de cette table il y a deux ans, nous étions divisés sur l'Irak" , a rappelé le premier ministre britannique. Mais "les terroristes utilisent l'Irak pour nous diviser . Ils utilisent l'Afghanistan , a-t-il poursuivi, ils utilisent la Palestine ". La cause du terrorisme "n'est pas une décision de politique étrangère" .

"ACCEPTER LE DÉBAT"

M. de Villepin a au contraire mis en avant tout ce qui "nourrit le terrorisme : les inégalités, la persistance de la violence, des injustices et des conflits, l'incompréhension entre les cultures" . "La force ne viendra jamais seule à bout du terrorisme car elle ne répond pas aux frustrations des peuples, elle ne s'attaque pas aux racines du mal" , a-t-il ajouté, expliquant que "l'exemplarité des démocraties est notre meilleur atout face aux terroristes" . S'écartant à nouveau de son discours, M. de Villepin a exhorté ses collègues à "accepter le débat et la critique" .
De son côté, le président Bush a tenu un discours qui a "beaucoup surpris" les ONG. La moitié de son intervention a porté sur les sujets de l'aide au développement et de la pauvreté. Il a annoncé un partenariat international sur la grippe aviaire qui obligerait les nations à rendre des comptes à l'Organisation mondiale de la santé. Il a réaffirmé tout l'intérêt qu'il porte aux objectifs du millénaire. Il a promis de supprimer les subventions et les barrières douanières, notamment sur les produits agricoles, à la condition que tous en fassent autant.
Le président américain a tenu à montrer que son pays ne suscite pas que de l'hostilité. 115 pays ont proposé une aide après le cyclone Katrina. L'Inde, s'est-il félicité, a fourni 10 millions de dollars pour aider le Fonds pour la démocratie à démarrer, un Fonds lancé par M. Bush l'an dernier et qui ne sera composé que de pays démocratiques (la France promet de s'y associer). Les Etats-Unis, a encore dit M. Bush, ont coparrainé une résolution avec la Tanzanie et le Bénin. Ils vont former 45 000 troupes africaines au maintien de la paix.
George Bush est apparu plus à l'aise que les années précédentes, prenant son mal en patience en écoutant les discours de ses 14 homologues, comme c'est l'usage au Conseil de sécurité, levant la main avec application pour adopter le document S/2005/577, devenu résolution 1624. Il y a quand même eu une fausse note quand, dans une organisation qui n'a pas oublié les conditions de l'intervention américano-britannique, il s'est félicité de ce que le "monde libre" s'efforce d'aider les Irakiens sur le chemin de l'autodétermination.

Christophe Jakubyszyn et Corine Lesnes
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Taxe de solidarité sur les billets d'avion

La France a obtenu une victoire à l'ONU , mercredi 14 septembre, avec l'adoption par l'Assemblée générale d'une déclaration commune où figurent le principe de nouvelles sources de financement innovantes et la volonté de "certains pays de mettre en place une contribution sur les billets d'avion, pour financer la lutte contre la pauvreté et les grandes pandémies".
Le premier ministre français, Dominique de Villepin, a annoncé que la France serait la première, avec le Chili, à instituer dès 2006 "un premier prélèvement interna-tional de solidarité sur les billets d'avion". Les voyageurs empruntant l'avion depuis un aéroport français devront acquitter une taxe supplémentaire d'environ 5 euros en classe économique et 25 euros en classe affaires et en première.
"Les esprits sont mûrs pour mettre en place de nouveaux mécanismes", a affirmé M. de Villepin. De nombreux grands pays, dont les Etats-Unis, restent toutefois opposés à une taxe sur les billets d'avion.
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M. Bush s'inquiète de la santé de M. Chirac

C'est le très conservateur John Bolton, l'ambassadeur de Washington a l'ONU, qui a joué les entremetteurs. Dans le brouhaha qui a précédé la séance du Conseil de sécurité consacrée au terrorisme, le diplomate s'est faufilé jusqu'à Dominique de Villepin. Un sourire goguenard aux lèvres, il l'a conduit auprès de George Bush, près de la célèbre table en fer à cheval. Détendus en apparence, le président américain et le premier ministre français ont échangé une franche poignée de main, immortalisée par les caméras de l'ONU. En hôte amical, George Bush a demandé des nouvelles de la santé de Jacques Chirac, auquel il a transmis ses amitiés. Dans cette même enceinte, le 14 février 2003, Dominique de Villepin avait prononcé un important discours expliquant l'opposition française à la guerre en Irak. Fait rare, son allocution avait provoqué les applaudissements du public. - (Corresp.)

Article paru dans l'édition du 16.09.05


 

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