2.9.05

Le tsunami américain

« Ce que j’ai vu aujourd’hui en survolant la zone la plus touchée ressemble exactement à ce que j’ai vu en Indonésie après le tsunami », notait le sénateur de Louisiane, Mary Andrieu, le 31 août. Après avoir vécu une invasion d’utilisation de ce terme pour toute sorte d’usage depuis huit mois, et notamment, tel un marronnier, un rappel des faits, sous la forme d’état des lieux des secours, voilà que l’annonce d’une tempête tropicale, 98 jours avant la fin de la saison, paraît donner aux médias internationaux un moyen de mobilisation.
Paraît seulement car les conditions de médiatisation ne sont pas les mêmes. D’abord, la catastrophe touche le littoral du premier pays du monde. S’il n’y avait la métropole de La Nouvelle-Orléans dans la ligne de mire de Katrina, nul doute que cette tempête n’aurait eu droit aux mêmes commentaires que ses consœurs qui frappent habituellement les côtes de Floride. Les premiers traitements télévisuels ont d’ailleurs été les mêmes : commentaires et images sur les habitants qui s’enfuient, les embouteillages sur les autoroutes, ceux qui ont décidé de rester… Contrairement à la soudaineté du tsunami, la menace était annoncée, attendue et, plus grave encore pour les médias, sans surprise puisque les ouragans et autres tempêtes tropicales se produisent régulièrement, tous les ans, à pareille époque. Katerina était même le troisième événement majeur de la saison, après Dennis et Irene, depuis juillet.
Ensuite, la catastrophe reste américaine. Et même si les images apportent leur lot d’inondations, elles ne sont pas chargées de cette émotion internationale, parce que touristique, de l’Asie du Sud. Des villes sous les eaux, l’est de l’Europe en a connu il y a quelques années, sans que cela ne suscite de mouvement comme le tsunami de décembre. Pire, le calendrier joue contre ce genre d’événements. Qu’il s’agisse des inondations de l’été 2002 ou de Katrina, ces catastrophes naturelles arrivent au moment où l’opinion publique internationale est tournée vers d’autres préoccupation. L’été, plus qu’à toute autre saison, joue à plein le théorème journalistique de la proximité primant sur le lointain. Soit les gens sont en vacance, soit ils préparent leur rentrée.
Cette question n’est pas propre aux seules catastrophes naturelles, mais à toute actualité. L’été, les journaux se font moins denses, ouvrant leurs colonnes à des sujets divertissants ; à noter cette année la mondialisation de ce jeu apparu dans les suppléments du quotidien britannique The Times en octobre 2004, le Sudoku. La télévision est moins regardée. L’opinion publique est en vacances. La série d’accidents d’avions n’a ainsi provoqué aucune émotion particulière… Seul le canular du SMS annonçant la congélation des passagers du vol qui s’est écrasé près d’Athènes avait connu un semblant de traitement sensationnel. Mais c’était un canular…
La fin de l’été est certainement la moins favorable à une actualité lointaine, puisque les vacanciers redeviennent parents et travailleurs. La rentrée amène le retour des marronniers que sont les sujets obligés sur les achats scolaires, les angoisses parentales pour la première école, les derniers regards embués des premiers jours de classe… La tuerie de Beslan avait sous estimé cette apathie des jours de rentrée. Quant aux planificateurs des attentats de New York et de Madrid, voir même ceux de Londres, avaient saisi cette temporalité médiatique…
L’étonnement des médias vient, comme le démontre la presse britannique du vendredi 2 septembre, de voir une superpuissance comme les Etats-Unis humiliée en essayant de faire face aux conséquences du passage du cyclone Katrina sur plusieurs Etats du sud. « La vue d'une superpuissance humiliée est en soi humiliante », écrit le Daily Telegraph dans un éditorial. « En Louisiane, au Mississippi et en Alabama ces quatre derniers jours, les Etats-Unis ont eu beaucoup de mal à fournir les produits de première nécessité — nourriture, eau et médicaments — aux victimes du cyclone Katrina », relève le quotidien conservateur. « Des jeunes n'ont pas seulement pillé en toute impunité mais ont ouvert le feu sur des membres de la Garde nationale. Et les autorités n'ont toujours pas idée du nombre de personnes qui sont mortes », souligne le Daily Telegraph. Le Daily Mail compare l'impuissance des Etats-Unis à aider des dizaines de milliers de ses citoyens victimes d'une catastrophe naturelle à celle qu'ils démontrent en Irak. « Voilà une superpuissance qui peut renverser comme elle veut une dictature mais qui est si enlisée dans les conséquences de la guerre qu'elle se retrouve incapable de répondre de manière adéquate aux difficultés de dizaines de milliers de ses citoyens frappés par une catastrophe naturelle », écrit le quotidien. Pour le Daily Mail, « le président Bush, avec sa cote de popularité déjà en chute libre, paie vraiment un prix élevé pour sa folie militaire ».
Enfin, rien ne surpassera émotionnellement, donc médiatiquement, une catastrophe se produisant entre le 24 et le 26 décembre...

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