7.9.05

Une élection présidentielle «libre» et sans suspense

ÉGYPTE A 77 ans, le président Moubarak brigue, au suffrage universel, un cinquième mandat

PAR SAAD EDDIN IBRAHIM *
[Le Figaro, 07 septembre 2005]


Les Egyptiens se rendent aux urnes aujourd'hui pour élire un président parmi 10 candidats, dont Hosni Moubarak, au pouvoir depuis vingt-quatre ans. Si peu doutent qu'il sera réélu à l'issue du scrutin, beaucoup en suivent les étapes avec passion.
Quelque 6 000 observateurs électoraux nationaux ont été formés pour l'occasion et des centaines d'observateurs internationaux sont arrivées dans le pays. Bien que tous les signes extérieurs d'une vraie compétition électorale soient mis en place, et malgré les promesses réitérées du pouvoir, les conditions de jeu sont loin d'être équitables. Moubarak bénéficie d'un nombre disproportionné d'avantages : la reconnaissance du nom, un quasi-monopole des médias électroniques contrôlés par l'Etat et rien moins que 85% des médias écrits. Une semaine avant le scrutin, certains candidats de l'opposition n'ont pas encore eu l'occasion d'apparaître à la télévision égyptienne pour faire campagne. Tous les membres de la commission électorale présidentielle sont nommés par Moubarak, et les nouvelles règles électorales ont éliminé tous les concurrents indépendants.
Depuis 2000, une décision de la Cour suprême stipule que les 8 000 juges égyptiens doivent superviser les élections et en certifier les résultats. Il s'agit d'un grand pas vers des élections plus justes, car le syndicat professionnel des juges est resté assez indépendant au cours du dernier demi-siècle de mainmise sur le pouvoir exécutif. Le régime de Moubarak a donc dû utiliser divers subterfuges pour neutraliser le syndicat des juges. L'un d'entre eux fut d'étirer la définition du «judiciaire» pour y inclure des milliers de fonctionnaires diplômés en droit, sans expérience à la cour mais fidèles au gouvernement. Cela laisse peu de marge aux vrais juges, car, s'ils protestent en boycottant leur travail d'observation, la tâche va revenir une fois de plus à la police du ministère de l'Intérieur...
Ainsi, dans le passé, le syndicat des juges s'est acquitté de sa tâche, certifiant des résultats conformes à la réalité. Lors des élections parlementaires de 2000, le parti au pouvoir de Moubarak n'a obtenu que 38% des voix dans les zones sous contrôle des «vrais juges», alors que son score culminait à 86% lorsque les «quasi-juges» étaient chargés de l'observation.
Cette année promet d'être très différente. Au printemps, les juges ont tenu une assemblée d'ampleur nationale et résolu que, à moins que le gouvernement ne leur accorde une totale indépendance et la surveillance exclusive du processus des élections, ils ne contrôleraient pas le scrutin présidentiel (ou parlementaire) à venir. Le 2 septembre, ils ont exposé leur ultime exigence : le régime doit autoriser des groupes civils à observer le déroulement des élections, arrêter de modifier la définition des juges légitimes dans un but électoral et accepter qu'aucune urne ne quitte la présence d'un juge légitime sans que son contenu soit compté, certifié et reporté.
Pour l'instant, il semble que la situation soit sans issue, car le chef de la commission électorale présidentielle a annoncé publiquement à la télévision égyptienne qu'il refusait toute observation par les citoyens du déroulement des élections.
Parmi les développements intéressants, à la veille du scrutin, figure un débat public houleux sur le thème : «Faut-il boycotter l'élection ou aller voter ?» De nombreux partis d'opposition ont appelé leurs membres à s'abstenir pour protester contre des règles électorales restrictives qui favorisent fortement Moubarak. Par ailleurs, les Frères musulmans, considérés comme formant le seul groupe d'opposition ayant du poids en Egypte, poussent leurs partisans à voter selon leur conscience mais à ne pas soutenir un quelconque «gouvernant despotique et corrompu». C'est une répudiation implicite mais claire de Moubarak, seul chef d'Etat depuis vingt-quatre ans.
Quelque 34 organisations de la société civile préparent des milliers de jeunes Egyptiens à surveiller les élections malgré les objections gouvernementales. Ces groupes avancent que, si le régime n'a pas l'intention de truquer les élections, alors la présence d'observateurs nationaux et internationaux ne devrait pas poser de problème. La réponse du régime consiste à dire que toute surveillance extérieure est une ingérence dans la souveraineté égyptienne et que des observateurs nationaux constitueraient un affront à l'intégrité des juges. Ce dernier argument est vite tombé lorsque le syndicat des juges s'est prononcé en faveur des observateurs de la société civile.
Que le régime de Moubarak s'effraie des voix de l'intérieur et de l'extérieur qui le mettent au défi d'organiser des élections libres et justes, ou qu'il soit simplement incapable de supprimer la triche au sein du parti tant elle est devenue inhérente à son fonctionnement, la situation actuelle ne présage rien de bon quant au déroulement du scrutin. Il n'en reste pas moins que, pour la première fois de leur histoire, les Egyptiens font l'expérience excitante du défi à la tyrannie et espèrent pouvoir profiter d'un tout nouvel espace de liberté.

* Directeur du Centre Ibn Khaldun du Caire pour les études sur le développement et professeur de sociologie politique à l'université américaine du Caire.

Copyright Project Syndicate, 2005. Traduit de l'anglais par Bérengère Viennot.

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