4.10.05

De l’insulte faite à l’Europe

Dans la question de l’adhésion turque à l’Union européenne, qui s’ouvre aujourd’hui, il est étonnant, mais bien compréhensible, de voir se former des lignes de force, comme celles qui se sont mobilisées ces dernières semaines. Il est naturel que l’impatience turque se manifeste sous toutes les formes, y compris les plus insultantes comme celle du choix à faire entre « destin mondial » et « club chrétien ». Certes, ces arguments maintes fois entendus en Occident ne sont qu’un juste retour à l’expéditeur. Mais les pressions auxquelles s’est livrées le gouvernement turc depuis un an, depuis la dérobade chypriote grecque en fait, avec l’appui « rhétorique et diplomatique » américain, n’ont eu d’égal que l’intense activité diplomatique autrichienne en faveur de la Croatie.
Au fond, personne ne veut de la Turquie en Europe. Et pas seulement l’opinion publique autrichienne. Que sait-on des volontés populaires turques d’ailleurs, celles des villages d’Anatolie, du Kurdistan, des confins syriens, qui ne bénéficient pas des mannes touristiques ou des commandes textiles de l’Union européenne ! De ceux-là, les médias occidentaux n’en parlent pas.
Porte d’entrée du Proche-Orient, la Turquie doit naturellement être un partenaire de l’Europe. Et les propos du Premier ministre turc ne font que refléter l’iniquité de l’attitude de l’Europe à l’égard d’une candidature de quarante ans, quand certains pays, passant par la case OTAN, sont entrés en seulement une décennie. Et que dire de la future intégration, programmée, de la Bulgarie et de la Roumanie, qui ne sont pas vraiment des parangons de démocratie, ou inéluctable, de la Croatie, de la Bosnie-Herzégovine, de la Serbie-Monténégro, de l’Albanie…
Dans dix ans, la Turquie sera toujours à la porte de l’Union, ou y sera entrée de la même manière qu’elle a obtenu l’ouverture des négociations : avec l’appui américain. Mais cette Europe américaine, en germe depuis Kennedy, ne correspond en rien à celle des pères fondateurs de la Communauté européenne. Elle ne repose pas sur une stratégie d’endiguement, hier du communisme, aujourd’hui de l’islamisme ou du terrorisme, ce qui rend l’allusion au « club chrétien » encore plus insultante. Car, sans projet politique, la question turque étant d’essence politique plus que toute autre adhésion, celle de la Grande-Bretagne exclue, l’Europe reste un bateau ivre, où chaque nation joue ses intérêts en fonction des questions à l’ordre du jour. Il n’est pas anodin de noter que la présidence britannique est la plus favorable à la Turquie depuis longtemps. Mais la partition de Londres est celle de la guerre contre le terrorisme et du Grand Moyen-Orient de George W. Bush. Une autre dimension que spécifiquement européenne se joue donc à partir de maintenant autour de l’adhésion turque. Et les chantages, et les insultes ne manqueront pas…

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