12.11.05

Les Libanais sous le choc de la diatribe d'Assad

Sibylle Rizk
[Le Figaro, 12 novembre 2005]

LA DIATRIBE DU PRÉSIDENT syrien contre le premier ministre libanais Fouad Siniora, et le chef de la majorité parlementaire Saad Hariri, accusés, jeudi, d'être les «esclaves» de l'Occident, a choqué les Libanais. La violence du ressentiment de Bachar el-Assad à leur égard a été d'autant plus mal ressentie que Beyrouth espérait une attitude conciliante de la part de Damas, sommé par la résolution 1 636 du Conseil de sécurité de coopérer avec la commission d'enquête internationale sur la mort de Rafic Hariri, assassiné en février dernier.
«Assad ferme toutes les portes», titrait hier amèrement le quotidien francophone L'Orient-Le Jour, tandis qu'an-Nahar constatait que «tout en affirmant vouloir coopérer, (Damas) a choisi la voie de la confrontation». L'éditorialiste qualifie le discours prononcé avant-hier de «déclaration de guerre». C'est en tout cas ainsi que les Etats-Unis et la France l'ont perçu. Dès jeudi, Jacques Chirac a menacé la Syrie de sanctions, tandis que Washington se disait «révolté» par une attitude de «défi à l'égard des résolutions de l'ONU».
«Le régime de Bachar el-Assad est en train de se «saddamiser», se désolait hier un observateur libanais. Beyrouth redoute particulièrement un durcissement du bras de fer engagé avec la Syrie, en raison de ses répercussions potentielles au Liban. L'agressivité envers le pays du Cèdre, manifestée par le président syrien, en serait un avant-goût.
Bachar el-Assad a non seulement dénoncé l'ingratitude du Liban envers les «sacrifices» consentis par la Syrie, mais il a tancé le premier ministre pour avoir fait du pays du Cèdre «un lieu de passage de tous les complots contre la Syrie», une référence explicite aux «visées politiques» des Etats-Unis et d'Israël contre Damas. Le président syrien est allé jusqu'à accuser «des agents au sein du gouvernement» libanais d'oeuvrer pour l'établissement d'une paix séparée avec Israël. Brandissant l'étendard du nationalisme arabe, il s'en est également pris aux médias libanais qui, bien qu'arabophones, desservent selon lui la cause arabe.
Fouad Siniora est «un homme d'Etat au passé national et arabe bien connu», a rétorqué le porte-parole du gouvernement, à l'issue d'un Conseil des ministres.
Au-delà des réactions officielles, le chef du gouvernement bénéficie d'un soutien populaire croissant, qu'il a pu mesurer lors de sa première apparition en public, quelques heures après l'attaque en règle dont il a fait l'objet. Ovationné à l'occasion de l'inauguration du Salon du livre francophone de Beyrouth, Fouad Siniora s'est contenté de réaffirmer «l'engagement du Liban à faire partie de la nation arabe» et de tendre la main «au peuple syrien».
Il évite ainsi d'entrer dans une polémique qui ne manquerait pas de raviver des tensions au Liban même, où les fractures héritées de la guerre n'ont pas encore été soudées. En témoigne le coup d'éclat de cinq ministres chiites, jeudi soir, qui ont claqué la porte du Conseil des ministres dès qu'il a été question de commenter le discours du président Assad. Affiliés aux deux mouvements chiites rivaux, Amal et Hezbollah, ils ont par la suite tempéré leur geste en expliquant qu'il ne remettait pas en cause leur participation au gouvernement. En fait, leur attitude marque surtout l'embarras des deux partis qui ont été les principaux alliés de la Syrie, dès qu'émergent des divergences entre Beyrouth et Damas. S'ils affirment vouloir la «vérité» sur l'assassinat de Rafic Hariri, ils refusent l'instrumentalisation de l'enquête à des fins politiques contre la Syrie, d'autant que le Hezbollah est lui-même dans la ligne de mire de la communauté internationale.
Le président syrien joue sciemment des clivages libanais potentiels, estime le rédacteur en chef du quotidien As Safir, Joseph Samaha. Le journal an-Nahar va plus loin, qualifiant les propos de Bachar el-Assad «d'appel à la sédition interne» au Liban.

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