20.12.05

Geste américain envers les sunnites irakiens

L'armée américaine a libéré des anciens responsables du régime de Saddam Hussein.

Georges Malbrunot
[Le figaro, 20 décembre 2005, 6 h]

La formation du gouvernement irakien «va prendre du temps», a déclaré hier George W. Bush, lors d'une conférence de presse à Washington. «Les Irakiens travaillent pour établir un consensus», a expliqué le président américain, pour qui le décompte des voix aux élections législatives de jeudi dernier ne sera pas terminé avant début janvier. Ce scrutin «ne signifie pas la fin de la violence, mais le début de quelque chose de nouveau». La recherche de l'unité nationale «nécessitera la patience du peuple irakien, et le soutien de l'Amérique et de ses partenaires», a ajouté Bush. La liste chiite conservatrice de l'Alliance unifiée arrive en tête à l'issue de dépouillements portant sur 89% des urnes à Bagdad. Elle est créditée de 58% des voix, devant le Front de la concorde (sunnite, 18,6%) et la liste du chiite laïc Iyad Allaoui (13,5%).
LE GESTE est éminemment politique. Plusieurs figures de la dictature de Saddam Hussein viennent d'être libérées, au lendemain des élections législatives, marquées par une forte participation de la minorité sunnite, le principal soutien de la guérilla. L'armée américaine parle de quatre personnalités remises en liberté, tandis qu'un avocat irakien évoque le chiffre de 24. Parmi elles, les scientifiques Houda Ammash et Rihab Taha, deux femmes soupçonnées d'avoir travaillé au développement de programmes d'armements biologiques, ainsi que les anciens ministres des Transports et de l'Enseignement supérieur, Ahmad Mourtada et Houman Abdel Khaliq. Sattam al-Gaoud, un entrepreneur qui faisait les emplettes de Saddam Hussein en violation de l'embargo, a également été élargi.
Des passeports ont été remis à certains d'entre eux, afin qu'ils puissent quitter l'Irak. «Nous avons considéré qu'ils n'avaient plus d'informations à nous fournir», a expliqué à l'AFP le lieutenant-colonel Barry Johnson.

Risque de morcellement du pays

Cette mesure de clémence vise d'abord à renforcer l'intégration des sunnites au processus politique, amorcée par le scrutin du 15 décembre. C'est le principal défi des six mois à venir, affirme, parmi d'autres, le sénateur démocrate Joe Biden, membre de la commission des affaires étrangères du Sénat américain. Selon lui, la communauté internationale doit désormais mettre la pression sur les sunnites pour arriver à un compromis sur l'amendement à la Constitution, qui doit être réalisé d'ici à quatre mois.
Faute de consensus sur le fédéralisme, principal point d'achoppement avec les sunnites, rien, selon Biden, ne pourra empêcher l'éclatement de l'Irak entre ses composantes chiites, kurdes et sunnites. Aujourd'hui, la priorité est à la consolidation de la dynamique du Caire, où s'est ébauchée le mois dernier une réconciliation nationale.
Après deux ans de violence intercommunautaire, l'Irak vit un moment charnière. La rébellion est toujours aussi forte. Mais elle n'est plus sourde aux sirènes de la politique. La trêve de la violence le jour des législatives a été respectée par certaines factions, comme l'Armée islamique en Irak, qui s'est fait connaître par de nombreux enlèvements et exécutions d'étrangers. Son agenda irakien commence à prendre le pas sur ses visées djihadistes. Reste al-Qaida et les groupuscules qu'Abou Moussab al-Zarqaoui a réussi à fédérer autour de lui. Au nom de la lutte contre l'occupant américain, les factions nationalistes ou ex-baasistes refusaient jusqu'à maintenant de se désolidariser du terrorisme pratiqué par Zarqaoui. «Un jour, quand les Américains seront partis, nous mènerons un autre combat, contre les djihadistes», déclare au magazine Time Abou Qaba al-Tamimi, un leader de l'insurrection. Autant de raisons d'être optimistes.
Dans l'immédiat, la poursuite du rapprochement dépend des autres gestes qui seront faits vis-à-vis des sunnites ainsi que de la capacité de ces derniers à se faire entendre de la rébellion. A cet égard, les remerciements publics d'un leader sunnite à la «résistance» pour ne pas avoir attaqué les bureaux de vote jeudi, s'inscrivent dans ce discours de la raison, qui commence à porter ses fruits.
Mais le chemin vers la pacification de l'Irak reste semé d'embûches. Les sunnites tiennent également à un recrutement local des forces de sécurité, comme c'est déjà le cas à Faludjah. Ils veulent être maîtres chez eux, et en finir avec les exactions des milices chiites liées au ministère de l'Intérieur.
Craignant une contagion chiite, les pays arabes – Arabie saoudite et Egypte en tête – poussent eux aussi à cette intégration des sunnites. «Les Saoudiens nous ont invités chez eux en janvier pour préparer la conférence nationale de Bagdad», affirme le journaliste Kaïs al-Azawi. Pour ce tenant de la mouvance nationaliste, «le prochain gouvernement de coalition doit regrouper toutes les tendances politiques» afin d'avancer vers la concorde.

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