20.12.05

Les islamistes intègrent la vie politique égyptienne

Des contacts sont envisagés entre les Etats-Unis et les Frères musulmans.

Tangi Salaün
[Le Fgaro, 20 décembre 2005, 6 h]

LES EGYPTIENS ont été témoins hier d'une grande première : dans les travées du Parlement, d'ordinaire monopolisées par les élus du Parti national démocrate (PND) au pouvoir, les 88 Frères musulmans (sur 454 députés) étaient tous présents pour écouter le président Hosni Moubarak présenter son programme pour les cinq années à venir. Jamais la confrérie islamiste, interdite mais tolérée, n'avait été aussi bien représentée depuis sa création en 1928. Au point que les Etats-Unis ont pour la première fois envisagé publiquement d'établir des contacts avec elle.
Au premier regard, pourtant, rien n'a changé. Le raïs est apparu souriant, encadré par deux caciques du régime, le président de l'Assemblée du peuple, Fathi Sorour, et celui du Sénat, Safouat el-Chérif. Il y a peu, en pleine polémique sur les fraudes et les violences meurtrières qui ont marqué les législatives, ce dernier n'avait eu aucun état d'âme à qualifier le scrutin de «rêve démocratique éveillé».
Les islamistes ne lui en ont pas tenu rigueur, au moins en apparence. Hier, ils se sont levés pour applaudir l'arrivée d'Hosni Moubarak, ce que l'opposant libéral Ayman Nour, arrivé second de la présidentielle, s'était refusé à faire il y a trois mois en pareille circonstance. Une attitude de défi qu'il a payée au prix fort. Battu aux législatives, il a été jeté en prison dans l'attente d'un jugement pour «falsification de documents officiels». Il vient d'être hospitalisé après avoir entamé une grève de la faim.
Pour l'instant, les Frères musulmans n'ont donc pas choisi la confrontation. Bien au contraire. La semaine dernière, ils ont même voté avec le PND pour reconduire Fathi Sorour à la tête de l'Assemblée du peuple. De la même façon, ils ont laissé à un député du parti d'Ayman Nour le loisir de demander l'interdiction de la vente d'alcool pendant les fêtes de fin d'année.
Cette attitude prudente des islamistes n'étonne pas Hugh Roberts, directeur du bureau cairote de l'organisation International Crisis Group. Selon lui, «les Frères musulmans ne sont pas dans une logique de prise du pouvoir, au moins à court terme. Leur priorité est plutôt de digérer leurs gains électoraux.» Devant le Parlement, Hosni Moubarak n'a d'ailleurs fait aucune référence à ces hôtes encombrants. Il s'est contenté de promettre la poursuite des réformes politiques, tout en s'engageant à remédier aux «aspects négatifs» des législatives.
Mais, derrière cette normalité de façade, les problèmes demeurent, à commencer par le statut de la confrérie. Depuis les élections, celle-ci a évité de réclamer sa légalisation. Une ligne rouge pour le régime, qui invoque l'interdiction de former un parti politique sur une base confessionnelle.

Courtiser l'Occident

Pourtant, souligne Hugh Roberts, l'État se trouve aujourd'hui face à ses contradictions, puisqu'il a laissé «les Frères musulmans se présenter comme un parti religieux pendant la campagne électorale en mettant en avant leur slogan : l'islam est la solution». Pour le chercheur britannique, il n'est sans doute pas souhaitable que la confrérie soit légalisée dans l'immédiat, en l'absence de toute opposition laïque, sortie laminée des législatives. Mais, dit-il, les islamistes devraient au moins être décriminalisés, ce qui permettrait de sortir du cycle infernal des arrestations arbitraires.
Conscients d'être plus que jamais exposés aux risques de répression, les Frères musulmans continuent d'ailleurs de courtiser l'Occident, et en particulier les Etats-Unis, même si leur guide suprême, Mohammed Akef, a récemment entamé son crédit en comparant Israël à «un cancer». Réagissant aux déclarations du département d'État sur l'établissement de contacts avec la confrérie, son porte-parole, Essam el-Erian, s'est ainsi félicité que «les Américains aient reconnu la réalité du terrain». Une position confirmée par le chef du groupe parlementaire islamiste. Hamdi Hassan s'est dit «prêt au dialogue avec Washington, puisque les Frères musulmans font désormais partie du système politique égyptien».
Prudent, il a toutefois précisé que ces contacts devraient passer par des «voies officielles». Au printemps, des rumeurs de contacts entre la confrérie, les Etats-Unis et l'Union européenne avaient déclenché les foudres du pouvoir et une vague d'arrestations massive. Cette fois, l'État a réagi avec davantage de réserve. Le ministre des Affaires étrangères, Ahmed Aboul Gheit, a reconnu aux députés le droit d'établir des contacts avec des pays étrangers.

Aucun commentaire: