22.1.06

Ben Laden veut reprendre le contrôle du djihad

Terrorisme Destiné aux Etats-Unis, le message de Ben Laden a aussi une vocation interne.

Arnaud de La Grange
[Le Figaro, 21 janvier 2006]

IL Y A les bons et les mauvais Américains, comme il y a les bons et les mauvais musulmans. En marquant la différence entre le «peuple américain» et ses dirigeants, Oussama Ben Laden reprend finalement à son compte la rhétorique occidentale. On croirait entendre George W. Bush s'adressant aux Irakiens en les dissociant de Saddam Hussein et son régime.
Cette distinction entre la rue occidentale et ses chefs n'est pas dans la sinistre tradition d'al-Qaida. En visant les tours new-yorkaises en même temps que le Pentagone le 11 septembre 2001, les djihadistes ne faisaient pas dans la nuance. Voilà pour les actes. Le discours n'est guère plus discriminant. La fatwa fondatrice de février 1998, décrétant le «djihad contre les juifs et les croisés», est claire : «Le commandement de tuer les Américains et leurs alliés – civils ou militaires – est un devoir personnel pour tout musulman en position de le faire.»
Une fois de plus, l'icône du mal montre sa capacité à intégrer la logique de l'adversaire, à la retourner. A maîtriser l'agenda médiatique, aussi. La diffusion de ce nouvel enregistrement intervient alors que Bush est en difficulté sur le terrain irakien, que le retrait des Italiens de la coalition se profile et que l'idéologue et numéro deux d'al-Qaida, Ayman al-Zawahiri, a été donné un peu rapidement pour mort par le Pentagone.
A Washington, bien sûr, la proposition de «trêve» formulée par Ben Laden est interprétée comme un aveu de faiblesse. Comme la preuve que la victoire est au bout du fusil. Peut-être. Pour d'autres, la simple capacité à diffuser cette cassette est déjà une victoire. Et une «trêve» refusée peut être l'aube de nouvelles attaques. En avril 2004, le chef d'al-Qaida avait offert aux Européens de cesser les attentats contre les pays qui prendraient position contre la guerre en Irak. Quinze mois plus tard, Londres était ensanglantée par une poignée de kamikazes.

Recentrer le djihad

Alors, que cherche Oussama Ben Laden en envoyant ce type de signal ? Il n'imagine sûrement pas enfoncer un coin entre le pouvoir et la population américaine. Mais en ne s'adressant pas directement à George Bush, Ben Laden se place en fait à son niveau. Le chef de file de l'Oumma, cette communauté musulmane fantasmée, parle aux ouailles du leader du monde occidental. «Son message se veut plus une marque de force que de faiblesse, explique Alain Chouet, ancien cadre de la DGSE, il signifie qu'il peut faire ce qu'il veut, quand il le veut, à l'encontre de qui il veut. Il choisit ses cibles.»
Le message de Ben Laden, repris et commenté avec allégresse hier sur tous les sites islamistes, a aussi une vocation interne. Les djihadistes n'ont pas toujours été unanimes sur la stratégie à déployer face aux Etats-Unis. Au milieu des années 90, les débats ont même été violents sur l'opportunité de recentrer le djihad contre «l'ennemi lointain» (les Etats-Unis et l'Occident en général) plutôt que contre «l'ennemi proche» (les régimes arabes apostats).
«En offrant une trêve, il rejette la responsabilité du conflit sur les Occidentaux, commente Dominique Thomas, spécialiste de la mouvance islamiste. Il réaffirme le statut de victimes des musulmans, dont les terres sont occupées en Irak et en Afghanistan.» Al-Qaida se veut une avant-garde, mais elle ne doit pas pour autant s'isoler des «masses» musulmanes.

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