3.1.06

Liban : la secte des habashs en première ligne dans l'assassinat d'Hariri

Deux membres de cette secte sunnite, inféodée à la Syrie, sont emprisonnés dans le cadre de l'enquête sur la disparition de l'ancien premier ministre libanais.

Georges Malbrunot
[Le Figaro, 03 janvier 2006]

Dans l'assassinat de Rafic Hariri, les habashs ont joué leur partition favorite : celle de fidèles indics du régime syrien. A 11 h 42, quelques minutes avant l'attentat, leur responsable des relations publiques, Cheikh Ahmed Abdel-Al, téléphone à Jameh Jameh, le chef des agents syriens dans le quartier des grands hôtels, où le convoi d'Hariri sera visé. Il récidive à 18 h 14, 20 h 23, puis à 20 h 26.
«En bon exécutant, Abdel-Al va aux consignes, il veut savoir ce qu'il doit faire», constate un policier libanais. «Aucune autre personne n'est liée à autant d'aspects de l'enquête», accuse le rapport du procureur Detlev Mehlis, qui braque les projecteurs sur cette mystérieuse secte sunnite. Ses racines plongent en Ethiopie, où son chef Abdullah al-Habashi naît en 1920. Il sera expulsé en 1947 en Arabie saoudite, et s'installera trois ans plus tard à Beyrouth. En 1983, les habashs prennent le contrôle de la Jam'iyyat al-mashari al-khairiyya, la «Société des projets philanthropiques islamiques». Un faux nez pour étendre leurs activités sociales ou éducatives, dans les milieux défavorisés.

«Chevaux de Troie»

Leur vision syncrétique de la religion, dans laquelle se mêlent dogmes sunnites et spiritualisme soufi, les place en opposition avec les autres groupes musulmans, qu'ils soient sunnites, comme les Frères musulmans ou les wahhabites, ou chiites, comme le Hezbollah. Dans le Liban déchiré par la guerre civile, les 3 000 habashs sont esseulés. «Ici, la loi n'existe pas, si vous n'avez pas une couverture, vous êtes fichus», explique un de leurs membres, Moyyedine Shami, jeune prothésiste dentaire formé en France, qui justifie sans vergogne leur ralliement aux Syriens. Damas accepte de les protéger. Mais en échange, ils doivent coopérer.
La secte se transforme peu à peu en une officine des services syriens. Selon un ancien général libanais, ces derniers vont les utiliser «comme un réseau pour faire peur aux sunnites de Beyrouth, de Tripoli, à Hariri, bref à tout sunnite qui pouvait faire de l'ombre à leur tutelle, et créer un mimétisme auprès de la majorité sunnite syrienne». Les habashs vont jouir de contacts à un haut niveau dans l'appareil étatique prosyrien, comme le montrent d'autres appels téléphoniques d'Abdel-Al à Moustapha Hamdane, chef de la garde présidentielle, à Ali Hajj, patron des Forces de sécurité intérieure (FSI), et à Raymond Azar, à la tête des renseignements militaires. Autant de responsables, aujourd'hui sous les verrous aux côtés d'Abdel-Al, pour leur implication dans le crime.
Grâce à leurs appuis, les habashs ne se contentent pas de sculpter des statuettes dorées à l'effigie d'Hafez al-Assad, ils étendent leur influence à Tripoli, dans les camps palestiniens, comme Ein Héloué, mais aussi à Beyrouth, où les Syriens les autorisent à prendre le contrôle de la grande mosquée du centre-ville. Les habashs, qui ont essaimé en Australie, au Canada, en Suisse et en France, sont admis partout, parce qu'ils paraissent politiquement corrects. «C'est leur force», ajoute à Paris un policier français qui les connaît bien. «Ce sont d'excellents chevaux de Troie, ils savent très bien cacher leur jeu» (voir encadré).
Leur implication dans l'assassinat d'Hariri illustre la manière dont les Syriens ont mis à contribution tous leurs réseaux au Liban. «Les habashs, explique un expert des questions de sécurité, devaient préparer l'attentat à travers un certain nombre d'appels téléphoniques à d'autres suspects. La garde présidentielle, elle, a été chargée de la logistique et du nettoyage de la scène de crime après l'assassinat. Enfin, les renseignements militaires devaient écouter Hariri et surveiller son convoi. Chacun, ajoute-t-il, avait une part du travail, mais sans savoir sans doute qui était la cible.» D'où la frénésie de coups de téléphones donnés par Abdel-Al, juste après le crime.
«C'était son rôle d'essayer d'aider les membres de notre association», veut faire croire Moyyedine Shami. En costume-cravatte, le jeune homme, qui porte un collier de barbe, oublie de préciser que Cheikh Ahmed était aussi le chef de leur service de renseignements. Son frère, Walid, travaillait lui à la garde présidentielle, aux côtés d'Hamdane, un ancien morabitoun (nationaliste arabe) que les Syriens avaient retourné dans les années 80 pendant sa détention à Damas. Une pratique courante pour se constituer des clientèles dévouées au Liban. Habashs, morabitoun... Le lien est établi en juillet dernier lorsque les FSI mettent la main sur un dépôt d'armes dans la banlieue sud de Beyrouth, géré par des morabitouns, dont le responsable sera caché par Ahmed Abdel-Al, avant d'être arrêté.

Faiblesse ou calcul ?

«Qu'ils nous montrent des preuves de la culpabilité de Cheikh Ahmed ou de Walid», tonne Adnan Traboulsi, ex-député habash. Pas vu, pas pris : leur ligne de défense paraît calquée sur celle de Damas.
Les habashs, désormais, font face aux autorités libanaises qui veulent reprendre certaines de leurs mosquées. Contrairement à d'autres pro-syriens, ils ont choisi de ne pas paraître menaçants. Par faiblesse ? Ou par calcul ? «Nous n'avons jamais créé de violences», assure Moyyedine. «Nous sommes présents dans de nombreux pays, poursuit-il, même chez vous, le gouvernement français nous connaît bien».
Leur gourou, Cheikh Hossam Karakya, qui n'a pas souhaité répondre à nos questions, est marié à une Française, et se rend régulièrement dans l'Hexagone. «Nos relations politiques n'ont pas changé», assure Adnan Traboulsi, qui réfute le double jeu qu'on leur prête. «Quand les Syriens étaient là, nous traitions avec les autorités libanaises. Nous continuons maintenant. On veut nous canaliser dans l'orbite prosyrienne. Mais on est comme tout le monde. Joumblatt, ou même Hariri, vous croyez qu'ils n'ont pas été un moment ou à un autre prosyriens», conclut Traboulsi.

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