31.8.06

Israël a gâché une chance historique de gagner la guerre contre le Hezbollah

L'analyse de Renaud Girard * .
Publié dans Le Figaro le 28 août 2006
Actualisé le 28 août 2006 : 14h28

Ce mois d'opérations militaires aériennes et terrestres de l'été 2006 menées par l'État d'Israël contre le Hezbollah sera étudié, dans les écoles de guerre occidentales, comme l'exemple type d'une guerre asymétrique ratée, livrée par une démocratie contre un mouvement de guérilla. Les raisons en sont tout autant politiques, stratégiques que tactiques.
Une fois n'est pas coutume, le gouvernement israélien avait non seulement l'intégralité de son opinion publique derrière lui, mais aussi le droit international pour lui. La provocation du 12 juillet va bien au-delà du simple incident de frontière. Soigneusement préparée, l'attaque surprise du Hezbollah contre la frontière internationalement reconnue d'Israël constituait incontestablement un acte de guerre. L'affaire ne se résume pas à l'enlèvement de deux soldats israéliens : huit autres ont été tués, et ce sur le territoire israélien.
Au lieu de prendre le temps d'analyser froidement ce qui lui arrivait, l'establishment politico-militaire israélien s'est jeté inconsidérément dans une orgie de communication vengeresse. Le premier à s'exprimer publiquement fut le chef d'état-major Dan Halutz, pilote de formation, qui, deux heures après que l'incident fut connu, menaça de «ramener le Liban cinquante ans en arrière». Au-delà de l'ineptie de ces propos de matamore oriental, il est inquiétant de voir, dans une démocratie, un militaire s'exprimer avant ses autorités politiques, comme s'il voulait leur forcer la main. Le chef d'état-major aurait été bien avisé de se concentrer, dans le secret de son cabinet, sur deux tâches, la préparation de son armée à la nature du nouvel ennemi, l'élaboration des différentes options stratégiques cohérentes à présenter à son gouvernement.
Ce fut ensuite au premier ministre Ehoud Olmert de parler. Lui non plus ne résista pas à l'ivresse de la surenchère verbale. Qu'avait-il besoin de proclamer qu'Israël n'échangerait plus jamais de prisonniers, qu'il allait éliminer physiquement Nasrallah et réussir à démanteler la milice islamiste chiite ? Quand on fait la guerre, le moins on parle, le mieux on se porte. Trop parler, c'est non seulement se lier les mains, c'est aussi révéler inutilement sa stratégie à l'adversaire.
Moins de vingt-quatre heures après l'incident, Israël lance sa campagne de bombardements aériens sur le territoire libanais. Quel besoin Tsahal avait-il donc de se précipiter ? Pourquoi ne pas avoir attendu quinze jours avant d'agir ? Tactiquement, l'effet de surprise ne pouvait pas jouer contre des combattants du Hezbollah, préparés à l'affrontement depuis six ans. Stratégiquement, un tel délai aurait pu être mis à profit par l'État juif pour préparer son armée au combat antiguérilla en terrain hostile et pour se fixer des objectifs réalistes. Politiquement, Israël aurait eu le temps de bien «vendre sa cause» aux opinions publiques du monde entier. Si le gouvernement de Jérusalem avait adressé au gouvernement libanais un ultimatum lui donnant deux semaines pour déployer son armée à la frontière et appliquer enfin la résolution 1559 du Conseil de sécurité de l'ONU prévoyant le désarmement du Hezbollah, le monde entier aurait compris. Il n'était pas difficile pour les Israéliens d'expliquer aux opinions publiques du monde entier le caractère intolérable d'attaques militaires perpétrées contre son territoire, à partir de celui d'un État voisin souverain.
Au lieu de cela, Israël bombarda immédiatement les pistes de l'aéroport international de Beyrouth, s'engouffrant dès le premier jour dans une stratégie de la punition collective. Le fait que les porte-parole israéliens aient justifié cette action par un argument aussi ridicule que celui «d'empêcher l'exfiltration vers l'Iran de nos deux otages» montre le degré d'improvisation stratégique et de désarroi psychologique auquel était réduit à l'époque l'establishment politico-militaire de Tel-Aviv.
Le choix de privilégier, dans un premier temps, la guerre aérienne s'avéra désastreux. Non seulement les bombardements aériens se révélèrent militairement inefficaces contre un Hezbollah passé maître dans l'art du camouflage, mais ils aliénèrent les opinions publiques européennes, bouleversées par les images récurrentes des dommages infligés à la population civile libanaise. Contrairement à une idée largement répandue, Israël ne peut se contenter de son alliance militaire de facto avec l'Amérique. L'État hébreu a un besoin vital de bonnes relations avec l'Europe, son premier partenaire commercial.
Vint ensuite la tactique des incursions mécanisées terrestres de Tsahal dans les villages du Liban-Sud. C'est exactement ce qu'attendait le Hezbollah, milice maîtrisant parfaitement l'art de l'embuscade et dotée par l'Iran et la Syrie d'armes antichars dernier cri. Chaque soldat israélien tué (il y en eut en tout 114) devenait une victoire stratégique pour Nasrallah, salué comme un nouveau Saladin par les masses politiquement frustrées du monde arabo-musulman.
Enfin, dans les dernières quarante-huit heures, alors que Jérusalem savait qu'il allait accepter le cessez-le-feu imposé par le Conseil de sécurité de l'ONU, Tsahal se rua en force vers le Litani, dans l'espoir puéril de «sauver sa réputation» : opération aussi coûteuse qu'inutile. De bout en bout, la conduite de la guerre, dominée par des impératifs médiatiques, aura fait l'impasse sur l'analyse froide des points forts de l'ennemi.
Mais la chance d'Israël est que le débat y est libre, comme dans toute démocratie. Le mouvement des réservistes, citoyens qui ont été jetés dans cette guerre mal préparée, a déjà commencé à imposer à l'état-major une révision complète de sa doctrine d'emploi des forces.

* Grand reporter au service étranger du Figaro.

Aucun commentaire: