15.2.08

Faut-il parler au Hamas ? La France s'interroge

L'analyse de Georges Malbrunot, grand reporter au service Étranger du Figaro.

Tony Blair le reconnaît à mots couverts. Bernard Kouchner, lui, l'avoue franchement. Et à l'Élysée, on commence à s'interroger. La stratégie d'isolement international du Hamas, renforcée après sa conquête de la bande de Gaza par la force l'an dernier, a échoué. Considéré comme une organisation terroriste par les États-Unis et l'Union européenne pour ses attentats contre Israël, le Mouvement de la résistance islamique n'a pas cédé un pouce sur les trois exigences qui lui sont réclamées pour devenir fréquentable : mettre fin au terrorisme, reconnaître l'État hébreu et entériner les accords signés par ce dernier avec l'Autorité palestinienne depuis 1994.

«Nous avons sans doute eu tort d'imposer trois conditions avant un dialogue avec le Hamas, une seule aurait été suffisante», reconnaît un conseiller de Nicolas Sarkozy. Pour amener les intégristes palestiniens à plus de modération n'a-t-on pas placé la barre un peu haut ? Peut-on exiger d'un futur interlocuteur qu'il se défausse de toutes ses cartes avant le début des pourparlers ? Faudra-t-il parler avec les islamistes pour sortir de l'impasse ? Ces hésitations préoccupent les chancelleries occidentales. «Bien sûr, qu'il faut discuter avec le Hamas», confiait récemment Bernard Kouchner, qui se rend en visite ce week-end en Israël et dans les Territoires palestiniens. « Mais aujourd'hui, nous ne pouvons pas le faire. Nous parlons au Hezbollah parce qu'il est partie de la solution au Liban, mais le Hamas, lui, est partie du problème en Palestine» , explique le ministre des Affaires étrangères.

Le refus français s'appuie sur des raisons à la fois tactiques et idéologiques. À court terme, Paris ne tient pas à affaiblir Mahmoud Abbas. Le chef de l'Autorité palestinienne s'oppose à tout contact avec ses rivaux intégristes, tant qu'ils ne lui auront pas remis le pouvoir à Gaza. En fait, à travers cette exigence irréaliste, d'aucuns pensent qu'Abbas cherche à amener ses concurrents à Canossa. Sans être «suffisante» pour entamer des pourparlers avec les islamistes, une reprise du dialogue interpalestinien serait «un pas dans la bonne direction», juge-t-on à l'Élysée.

Les opposants aux contacts avec les intégristes estiment «impossible de discuter avec un mouvement dont la charte appelle à la destruction d'Israël». Certes. Mais en 1993, lorsque l'OLP de Yasser Arafat signa les accords d'Oslo, sa charte comportait elle aussi un article brûlot appelant à l'anéantissement de l'État hé-breu, qui ne sera finalement abrogé que cinq ans plus tard.

Le Hamas autre contradiction n'a pas toujours été infréquentable. Ni pour Israël, qui a contribué à son essor pour contrer les nationalistes de Yasser Arafat : quelques mois après sa création fin 1987 à Gaza, un de ses chefs, Mahmoud Zahar, rencontra Shimon Pérès, à l'époque chef de la diplomatie israélienne et aujourd'hui chef de l'État. Ni pour les Français ou les Américains : au printemps 1993 à Amman se tinrent plusieurs réunions entre des responsables intégristes et des diplomates américains, britanniques et français. Et au cours de l'été 2005, à la demande de Paris, une réunion secrète devait avoir lieu dans le Golfe. Mais au dernier moment, les responsables français firent machine arrière. «On a eu peur que cela se sache», reconnaît-on au ministère de la Défense. Dernièrement, un diplomate a encore proposé ses services. En vain. Sur ce dossier ultrasensible, Paris marche sur des œufs.

Les islamistes ne comprennent pas ces réticences. Les Suisses, les Norvégiens, et plus discrètement, les Espagnols et les Suédois, ont noué des contacts avec des représentants du Hamas à Damas ou à Beyrouth. «Les Français sont quasiment les derniers à refuser de nous voir, regrette un proche du Hamas, alors qu'en 2003 ils étaient les seuls au sein de l'UE à s'opposer à notre inscription sur la liste des organisations terroristes.»

Les islamistes ont du mal à comprendre qu'après les attentats du 11 septembre 2001, la tolérance zéro face au terrorisme a réduit les marges de manœuvre, surtout quand des centaines de roquettes s'abattent sur Israël depuis Gaza. «Nous ne sommes pas psychorigides ; si un jour il faut discuter avec le Hamas, nous le ferons», confie un proche du président de la République. Nous n'en sommes pas là. Nicolas Sarkozy répète qu'il ne parlera pas «avec des gens qui assassinent». Pourtant, localement, au niveau des municipalités, les Israéliens le font. Et à Paris, le débat se poursuit. «Ne pas leur parler va les radicaliser encore plus», s'inquiète un responsable du Quai d'Orsay. C'est bien le risque. Jusqu'à maintenant, le Hamas n'a jamais exporté son combat hors du sanctuaire israélo-palestinien. Jusqu'à quand ses factions les plus radicales résisteront-elles aux appels des djihadistes d'al-Qaida ? Pas plus tard qu'en début de semaine, Abou Omar al-Bagdadi, le chef d'al-Qaida en Irak, appelait ses hommes à soutenir les Palestiniens, non sans dénoncer «les capitulards du Hamas».

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