27.2.08

La police peut espionner les ordinateurs privés

Du correspondant du Figaro à Berlin Pierre Bocev

La Cour constitutionnelle allemande encadre de conditions draconiennes les «perquisitions en ligne».

La cour constitutionnelle allemande a autorisé hier l'espionnage des ordinateurs privés, grâce au placement de mouchards par les forces de sécurité. Mais elle y a apporté des restrictions telles que le recours à ces méthodes devrait se limiter à des cas isolés. Son verdict, à la manière des jugements du roi Salomon, permet aux deux partenaires de la grande coalition d'Angela Merkel de crier victoire. Un fossé s'était ouvert entre les conservateurs (CDU-CSU), soucieux de mener par tous les moyens la lutte contre le terrorisme, et les sociaux-démocrates (SPD), plus attachés aux libertés de base.

Après de longues polémiques qui ont opposé Wolfgang Schäuble, le ministre CDU de l'Intérieur, et Brigitte Zypries, sa collègue SPD de la Justice, le gouvernement avait décidé de geler un projet de loi sur la police criminelle dont le point le plus controversé concernait ces «perquisitions en ligne». La décision des juges de Karlsruhe devrait leur permettre de rédiger d'ici à l'été une version consensuelle.

«Chevaux de Troie»

En principe, les huit juges en robe écarlate n'étaient saisis de plaintes que contre le seul texte actuellement en vigueur, une loi de Rhénanie-du-Nord-Westphalie autorisant sans trop de précautions l'intervention des services de la protection de la Constitution, l'équivalent de la DST, sur les ordinateurs de tout suspect d'un crime. Ce texte a été cassé pour cause d'inconstitutionnalité, mais le verdict dépasse de très loin ce cas ­spécifique et balise l'activité du légis­lateur pour l'ensemble de l'Allemagne.

Techniquement, il s'agissait de statuer sur l'autorisation d'intervenir sur des ordinateurs privés en leur envoyant par courriel, de façon non identifiable, des «chevaux de Troie». Ce sont des espèces de virus qui s'installent dans la cible, en traquent les mouvements et les transmettent à distance. Cette surveillance vise les échanges par Internet, y compris téléphoniques, mais elle peut enregistrer jusqu'aux mouvements des touches du clavier et révéler ce qui s'écrit en circuit clos, sans avoir été transmis.

Il faudra l'accord d'un juge

Pareille intrusion, selon les juges, n'est envisageable que lorsque des «valeurs fondamentales» comme la vie humaine ou l'existence de l'État de droit sont en jeu de façon concrète. Oui, donc, s'il s'agit d'une menace d'acte terroriste, d'un enlèvement d'otage ou d'un attentat. Non, en revanche, s'il y va d'un cambriolage ou d'un vol. De toute manière, il faudra à chaque fois l'accord d'un juge. Il est en outre proscrit de retenir la moindre information d'ordre purement privé. Certains constitutionnalistes allemands, au terme d'une première analyse, ont estimé hier que Karlsruhe a de fait créé un nouveau «droit fondamental», celui de la protection de l'intégrité des ordinateurs privés, une norme comparable à celle de l'inviolabilité du domicile.

Ce n'est que la dernière en date d'une série d'interventions de la Cour de Karlsruhe dans ce domaine depuis les attentats du 11 Septembre et la volonté du législateur d'élargir les pouvoirs en matière de lutte contre le terrorisme. Les juges ont ainsi limité sévèrement il y a quatre ans les conditions de mise sur écoute des logements. Ils ont également cassé une loi, en 2006, qui aurait permis d'abattre en vol un avion détourné par des pirates de l'air qui le dirigeraient contre des cibles civiles. Ils doivent encore se prononcer sur une législation qui, en application de décisions européennes, ordonnerait le stockage pendant six mois des communications par téléphone ou courriel.

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