7.3.08

Pour une politique de renseignement

Par Michel Rocard, ancien premier ministre, Le Figaro.

La réorganisation du renseignement en cours vise à positionner cette fonction à la hauteur des menaces et des enjeux auxquels notre pays doit faire face. L'intérêt porté par le président de la République à cet aggiornamento s'inscrit dans la réflexion globale sur la réforme d'ensemble de l'État qu'il a décidée.

Le renseignement est l'un des investissements les plus rentables de l'État. Il est l'une des fonctions fondamentales de la sécurité nationale de tout État de droit et constitue une condition nécessaire à la prospérité du pays.

Or il est trop souvent perçu surtout dans notre pays comme une contrainte et non comme l'instrument nécessaire au développement de la richesse du pays et à son ambition dans un monde où la France doit affronter une diversité croissante de menaces terroristes ou économiques.

Force est de constater que, jusqu'à une date récente, le renseignement en France n'avait pas bénéficié d'une attention à hauteur de l'enjeu. À titre d'exemple, les Britanniques consacrent à leur renseignement un budget 3,5 fois supérieur au nôtre. Ce «gap» ira croissant jusqu'au décrochage si nous ne faisons pas un effort comparable à celui de la Grande-Bretagne, dont le budget de renseignement est en continuelle augmentation de 10 % par an.

Cet effort est d'autant plus nécessaire qu'un des enjeux du renseignement moderne portera également à l'avenir, en plus des missions traditionnelles, sur l'anticipation des menaces et des crises relatives entre autres à l'environnement (déplacements de populations, ressources, eau, pollutions, etc.).

D'autre part, le nombre et la complexité des menaces à affronter justifient et nécessitent une mutualisation de plus en plus poussée des moyens.

Le regroupement des missions dévolues à la DST et aux RG en est un bon exemple et devrait mettre fin à des doubles emplois, voire à des chevauchements de compétences qui ne pouvaient que nuire à leur efficacité.

S'agissant du renseignement technique, nous avons su partager les missions du satellite d'observation Helios tout en préservant à la fois la confidentialité propre à chacun de nos services, mais aussi le secret des missions nationales effectuées au profit des pays qui l'ont financé.

De même, dans le domaine de la sécurité des systèmes d'information, un rapprochement, au sein d'une même agence gouvernementale, des équipes d'attaque (cryptanalyse) et de défense (cryptographie), serait créateur de fortes synergies opérationnelles : analyse et conception sont des activités distinctes mais le retour d'expérience de l'une à l'autre est fondamental, comme l'estime le cryptologue Jacques Stern, médaille d'or du CNRS.

Par ailleurs, l'efficacité de nos services serait renforcée par la mise en place d'une unité centralisée de collecte et de traitement des sources ouvertes chargée de recueillir l'information et les signaux faibles afin d'en faire la synthèse à destination des décideurs gouvernementaux. Le travail en amont de cette unité permettrait ensuite de concentrer la recherche opérationnelle des agents sur les seules zones d'ombre.

Quelle que soit l'architecture retenue, le plus important est qu'au sommet de la Communauté du renseignement existe une autorité qualifiée ayant une vision globale, tant opérationnelle que budgétaire, des besoins et des moyens nécessaires afin de hiérarchiser les priorités et garantir au moindre coût l'efficacité et la cohérence de l'ensemble.

Enfin, la mobilisation de l'ensemble des acteurs publics et privés est devenue une nécessité dans la guerre économique exacerbée par la mondialisation.

Rappelons qu'après l'effondrement de l'Union soviétique et la fin de la guerre froide, les États-Unis ont réorienté leurs services de renseignement vers la guerre économique. Le président Clinton, en arrivant en 1993 à la Maison-Blanche, a institué un National Economic Council chargé d'assurer un rôle de coordination de la politique publique à l'égard des entreprises. Un Advocacy Center met en particulier les moyens et l'autorité du gouvernement américain au service des entreprises, afin de les aider à gagner des contrats à l'étranger.

Dans le même temps, la France dont les services sont mondialement reconnus pour leur efficacité, notamment dans la lutte contre le terrorisme n'a pu, compte tenu de la prégnance de la menace terroriste la concernant dès cette époque, et faute de moyens suffisants, effectuer ce changement de cap et développer autant que nécessaire cette dimension économique.

Rien ne nous empêche de monter des dispositifs appropriés, comme les Américains en ont avec par exemple le Business Executives for National Security regroupant des managers et des cadres supérieurs de sociétés privées américaines, désireux de mettre leur expérience des affaires au service de la sécurité des États-Unis. Certes, nous avons enfin pris conscience de ce défi avec dix ans de retard sur les Anglo-Saxons. Des résultats ont déjà été obtenus, mais ce partenariat public-privé demande encore à être approfondi et il reste notamment à surmonter des réticences culturelles en matière de délégation, à titre temporaire, de tâches ou de missions que des partenaires civils ont la capacité d'assurer avec un meilleur rapport coût-efficacité.

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