31.3.05

Principaux points et recommendations du rapport de la commission sur les ADM en Irak

Principaux points

- Les services de renseignement américain ont eu "complètement tort" sur la question de la présence supposée d'ADM en Irak.
- Ils mettront des années à se remettre des atteintes portées à leur crédibilité en raison de cette erreur.
- Il n'y a pas de preuve qu'ils aient manipulé les renseignements en provenance d'Irak pour conclure à la présence d'ADM dans ce pays.
- Les erreurs sur les ADM en Irak montrent que les services de renseignement n'ont pas développé de stratégies coordonnées pour collecter des renseignements concernant des "cibles difficiles".
- Elles révèlent une analyse peu rigoureuse dont la qualité s'est "sérieusement dégradée" et une analyse limitée de la situation socio-politique en Irak. Le rapport souligne le manque d'expertise actuellement sur l'extrémisme islamique.
- Elles montrent un manque d'échanges d'informations entre les différents services de renseignements qui "continuent à agir comme s'ils possèdent l'information qu'ils collectent".
- Elles révèlent la faiblesse des moyens humains pour collecter des renseignements sur les programmes irakiens d'ADM et l'absence virtuelle de renseignements collectés grâce à des espions sur les intentions des dirigeants.
- Elles soulignent la difficulté désormais à intercepter des conversations radio, par téléphone ou informatiques en raison des changements dans les technologies de télécommunications.
- Elles montrent la moindre utilité de l'imagerie par satellite contrairement à la guerre froide, des sites de production et d'entrepôt d'armes chimiques et biologiques étant plus difficiles à repérer que des chars soviétiques.
- Elles montrent que les nouvelles technologies pour collecter des renseignements ne sont pas assez développées.
- Elles soulignent l'absence de leadership fort au sein du renseignement américain.

Principales recommandations


- Une gestion "plus forte et plus centralisée" des services de renseignement pour qu'ils soient "véritablement intégrés". - Donner "plus de pouvoir et d'autorité" au nouveau directeur du renseignement national (DNI).
- Procéder à "un vrai changement culturel" au sein des services de renseignement.
- Soutenir le travail de long terme des analystes travaillant sur des sujets stratégiques.
- Créer un centre d'innovation pour développer de nouveaux concepts en matière de collecte de renseignements par des espions.
- Développer de nouvelles approches pour collecter des renseignements sur les armes biologiques.
- Améliorer les mécanismes chargés de surveiller les activités des services de renseignement, notamment les commissions parlementaires.
- Intégrer la police fédérale (FBI) aux services de renseignements en créant notamment au sein du FBI un Service de la sécurité nationale.
- Améliorer la coopération entre la CIA et le FBI.

ADM en Irak : un rapport impitoyable pointe les erreurs des renseignements américains

Avec AFP.
[Le Figaro, 31 mars 2005]

«Après un examen exhaustif, la Commission n'a pas trouvé d'indications que les services de renseignement ont manipulé les preuves sur les armes de destruction massive irakiennes.»

Les services de renseignement américain ont eu «complètement tort» sur la question de la présence d'armes de destruction massive (ADM) en Irak, affirme un rapport remis aujourd'hui au président George W. Bush.
Ce rapport rédigé par une commission indépendante, affirme également que les Etats-Unis mettront des années à se remettre des atteintes portées à leur crédibilité en raison de cette erreur.
George W. Bush avait présenté la présence de telles armes comme la principale raison pour lancer une guerre contre ce pays en mars 2003 et renverser Saddam Hussein.
Le rapport souligne toutefois qu'il n'y a pas de preuve que ces services ont manipulé les renseignements en provenance d'Irak pour conclure à la présence d'ADM dans ce pays.
«Notre conclusion est que les services de renseignement ont eu complètement tort dans pratiquement toutes leurs conclusions avant la guerre sur les armes de destructions massives irakiennes», écrivent les auteurs du rapport, parmi lesquels plusieurs parlementaires.
«Le tort fait à la crédibilité des Etats-Unis par les erreurs de nos services de renseignement en Irak mettra des années à être corrigé», ajoute-t-on de même source.
«Après un examen exhaustif, la Commission n'a pas trouvé d'indications que les services de renseignement ont manipulé les preuves sur les armes de destruction massive irakiennes. Ce que leurs responsables vous ont dit sur les programmes de Saddam Hussein est ce qu'ils croyaient. Ils avaient simplement tort», affirment les auteurs du rapport dans leur lettre de présentation adressée au président Bush.
Le rapport recommande notamment de donner plus de pouvoir au Directeur du renseignement national (DNI), poste récemment crée par George W. Bush et attribué à John Negroponte, précédemment ambassadeur des Etats-Unis en Irak.
Il estime également que la police judiciaire (FBI) doit être totalement intégrée aux services de renseignements et que ces derniers doivent être incités à travailler mieux.
La Maison Blanche s'est félicitée de la publication de ce rapport de quelque 600 pages et s'est engagée à mettre rapidement en oeuvre ses principales recommandations.
«Nous allons accorder un examen attentif à chacune des recommandations et les mettre en application dans un délai assez rapide», a déclaré le porte-parole de la présidence américaine Scott McClellan.
«Les échecs résultent largement de manquements dans l'analyse des renseignements, les analystes se montrant par trop attachés à leur conviction sur les intentions de Saddam (Hussein)», affirme le rapport.

30.3.05

La Syrie promet de se retirer du Liban avant les élections de mai

(Le Figaro, Avec AFP.)
[30 mars 2005]

Le chef de la diplomatie syrienne a annoncé hier soir que son pays allait retirer toutes ses troupes du Liban avant les élections libanaises de mai, ce qui mettrait un terme à des années de contrôle de la Syrie sur son petit voisin.
Le ministre syrien des Affaires étrangères Farouk al-Shara a fait cette annonce dans une lettre au secrétaire général de l'Onu, Kofi Annan.
Dans son message, il relève que la coopération entre la Syrie et le Liban a déjà permis à Damas de réduire ses forces à 10.000 hommes, et évoque «le retrait complet de ces troupes avant les élections à venir au Liban».
La lettre arrive après la publication la semaine dernière d'un rapport d'une commission d'investigation de l'Onu montrant du doigt la Syrie après l'assassinat de l'ancien Premier ministre libanais Rafic Hariri.
M. Hariri a été tué le 14 février dans un attentat à l'explosif au coeur de Beyrouth, qui a coûté la vie à au moins 19 personnes. Il avait quitté la tête du gouvernement quelques mois avant, en geste de protestation devant la domination politique syrienne sur son pays.
Le Conseil de sécurité de l'Onu avait voté en septembre 2004 une résolution exigeant le retrait entier des forces syriennes, entrées au Liban au cours de la guerre civile libanaise de 1975-1990, ainsi que le désarmement des milices.
Après l'assassinat, les pressions internationales, menées par les Etats-Unis et la France notamment, se sont accentuées sur Damas, et le président syrien Bachar al-Assad a promis de s'y conformer. Un retrait partiel a déjà été effectué.
«La guerre civile, qui a duré de nombreuses années, couplée avec une occupation israélienne de larges parties du Liban-Sud, nécessitait une coopération militaire et en matière de sécurité approfondie entre la Syrie et le Liban,» explique M. al-Shara dans sa lettre à M. Annan, assurant que cette coopération visait à maintenir la paix au Liban.
L'ambassadeur syrien à l'Onu, Faycal Mekdad, a redit mardi soir l'engagement de son pays au retrait.
«Maintenant que le Liban est reconstruit - il a un gouvernement, une direction - nous espérons qu'après notre retrait complet, il maintiendra ce qu'il a réussi à mener à bien», a-t-il dit.
Dans son rapport, la commission d'enquête de l'Onu sur la mort de Rafic Hariri, missionnée par Kofi Annan et dirigée par le policier irlandais Peter Fitzgerald, accuse la Syrie d'être responsable de la tension au Liban avant le meurtre, sans toutefois désigner l'auteur de l'assassinat.
«Le gouvernement syrien porte la principale responsabilité de la tension politique qui régnait (au Liban) avant l'assassinat», dit la commission. Il «exerçait une influence qui allait au-delà de l'exercice raisonnable de relations de coopération et de voisinage», poursuit-elle.
Mardi le ministre syrien des Affaires étrangères a au contraire fait porter la responsabilité de la tension à la résolution de l'Onu, soulignant les bons rapports entre Damas et M. Hariri. Il a en particulier démenti les accusations de la mission selon lesquelles Bachar al-Assad aurait menacé physiquement M. Hariri, ainsi que le leader druze Walid Joumblatt. Dans sa lettre, Farouk al-Shara demande que la référence à M. al-Assad soit retirée. Selon lui, les affirmations évoquant «un présumé dialogue inapproprié» entre al-Assad et Hariri sont «très étranges».
«Cette référence ne serait jamais acceptée parce qu'elle est fausse et ne repose sur aucune preuve matérielle,» écrit-il, ajoutant qu'il s'agit aussi de préserver «la crédibilité des Nations unies.»
Assad «préférerait briser le Liban sur les têtes de Hariri et de Joumblatt plutôt que l'on remette en cause sa parole au Liban,» soulignait la commission de l'Onu, citant des témoignages.
Le président syrien avait pour sa part refusé de recevoir les enquêteurs.

Pourquoi le non ?

LA CHRONIQUE d'Alexandre Adler

[Le Figaro, 30 mars 2005]

A présent que la catastrophe se dessine avec une inexorable montée du non au référendum sur l'Europe dans tous les sondages d'opinion concurrents, mais ici convergents, deux paradoxes semblent devoir être médités. On nous dit que les partisans du oui appartiennent à toutes les forces politiques, ou plutôt aux deux grandes forces politiques opposées. Je prétends que cette campagne du oui inaugure la redéfinition complète de la géographie politique du pays et qu'il n'y a plus aucune opposition sérieuse entre les directions actuelles du Parti socialiste et du Parti conservateur, l'UMP.
Au regard superficiel et phénoménologique, le non ressemble à un ensemble émietté de tribus concurrentes qui ne concourent ensemble à la même issue qu'en multipliant des embuscades séparées, tels les Afghans de la légende. Je prétends ici que le bloc du non est tout aussi homogène que l'est le bloc du oui. Peut-être s'agit-il même de l'émergence des deux forces qui vont s'opposer dans la crise française, à présent ouverte. Que les doctrines actuelles des socialistes modérés et des conservateurs éclairés tendent vers l'unicité est un phénomène reconnu à l'échelle de l'Europe entière.
En Italie, la coalition de centre gauche, aux frontières variables, s'est constituée par le mariage d'anciens communistes – revenus de beaucoup de choses – et de démocrates-chrétiens – un peu revenus de la Rome de l'Opus Dei et très revigorés par Bruxelles et ses appétits de «buongoverno». C'est d'ailleurs cet effet européen qui constitue aujourd'hui... le parti européen qui, en France, se bat à présent le dos au mur.
Jacques Delors, un socialiste d'origine fièrement catholique et très ouvert à la doctrine sociale de l'Eglise, y a précédé Romano Prodi, un démocrate-chrétien de gauche devenu, faute de mieux, le leader d'un mouvement communiste italien en capilotade. Leur parrain à tous aura été Helmut Kohl, un démocrate-chrétien allemand qui jamais, au long de ses quinze ans de règne, n'aura manifesté la moindre complaisance pour les doctrines libérales anglo-saxonnes et consolidé l'Etat providence avec une telle énergie que son successeur social-démocrate, Gerhard Schröder, aura hérité de la tâche ingrate de le démanteler. La Couronne, disait-on dans l'ancienne France, «saisit le vif», ce qui voulait dire que c'était la royauté qui créait avec ses lois fondamentales les rois, et non l'inverse. Aujourd'hui, c'est l'Europe qui remanie les partis et non les partis qui remanient l'Europe.
François Hollande – héritier de Jacques Delors plus encore que d'un Lionel Jospin dont il n'a jamais partagé les cultures successives – tout comme Nicolas Sarkozy – successeur légitime d'un Edouard Balladur qui se battit deux ans durant pour maintenir la barre de l'euro – n'ont pas que le complet veston (évitons ici le mot de veste comme celui de corde dans la maison d'un pendu) à l'identique : ils ont été choisis par l'Europe en marche pour accomplir son programme.
Choisis mais non élus ! L'élection en France ne s'est en effet jamais faite sur ce choix, par ailleurs réfléchi et porteur d'avenir, mais sur des fariboles qui cimentent encore des partis tous nés de la révolution industrielle et de sa structuration solide en classes sociales plus ou moins antagonistes. C'est ainsi que la direction néodelorienne du Parti socialiste dépend du suffrage des démagogues de carrefour qui vaticinent encore sur des versions à peine amendées du modèle soviétique rebaptisé altermondialisme. Sans qu'il y ait symétrie parfaite, la droite conservatrice, devenue au fil des ans un centre droit libéral social, continue ses génuflexions électoralistes à cette frange de ses électeurs issus de classes moyennes en déroute qui sont séduits par la gouaille impertinente de Le Jolis de Villiers de Saintignon mais pensent très fort aux rassemblements de rebouteux, de kinésithérapeutes en chômage et de mythomanes négationnistes qui a nom Front national.
Mais, à l'évidence, ces soutiens électoraux à éclipse ont jusqu'ici empêché les deux partis qu'Alain Minc avait si courageusement mais si impru demment définis comme appartenant au «cercle de la raison», tout simplement de s'expliquer. Je comprends que Pascal Lamy tout comme Michel Barnier d'ailleurs aient accepté, en leur temps et sans entrer dans les détails où gisait le diable, le principe de la directive Bolkestein, lequel est dans le droit-fil de la constitution du marché unique dans le domaine des services.
Le malheur, c'est que jamais Pascal Lamy ne pourrait s'expliquer franchement sur ce point malgré son très réel talent pédagogique et sa sensibilité démocratique dans un parti où le secrétaire général, François Hollande, se fait régulièrement gifler par les brutes et les hommes de main de José Bové en croyant devoir tendre l'autre joue. Au demeurant, je ne vois pas l'UMP m'inviter pour y défendre le bien-fondé de la candidature turque. C'est ce refus de combattre sous son propre drapeau, celui d'une mo dernité libérale, laïque, démo cratique et sociale, qui plombe aujourd'hui l'Europe à l'échelle du continent. Mais la France, nous le savons bien depuis Karl Marx qui l'a baptisée «terre classique des affrontements politiques», a le rare talent pour exprimer très fort et de manière très cohérente les contradictions qui traversent la société et la culture européennes.
En face, le parti du non est beaucoup plus cohérent qu'on ne veut bien le dire. Il y a en effet une convergence de plus en plus forte entre le corporatisme des salariés de la fonction publique, le corporatisme des classes moyennes désorientées, le rejet d'un modèle de développement qui semble acclimater, sans jamais le dire, la notion de risque et celle d'individualisme créateur. Là aussi le rassemblement néocorporatiste n'a pas encore levé son véritable drapeau. Celui-là n'est pas européen, mais pas français non plus. Il est même américain ! Mais de l'autre Amérique, celui de Kirchner et de Chavez, celui des petits rentiers prédateurs, des spoliateurs à la petite semaine et des xénophobes exaltés : il s'appelle le péronisme. Donnons-lui la chasse tout de suite et évitons-nous la déconvenue du non. Finalement, cette bataille nous permettrait d'entrer tout de suite, et sans convulsions supplémentaires, dans cette modernité tant attendue qui refera la France grande.

Ils quittent le pays sous la pression après la mort de Hariri, au grand dam de leurs employeurs.

Le Liban se vide de ses ouvriers syriens

Par Anaïs BERANGER
mercredi 30 mars 2005

Beyrouth correspondance

«Les ouvriers libanais n'aiment pas faire d'heures supplémentaires», s'agace Samir Diab, chef de projet sur un chantier, en mâchonnant nerveusement son cigare cubain. «Les Syriens, eux, ils s'activaient douze heures par jour sans rechigner, poursuit-il, les yeux rivés sur le calendrier. Nous n'aurons jamais fini la construction du bâtiment dans les délais.» Depuis l'attentat qui a coûté la vie à l'ancien Premier ministre Rafic Hariri, le 14 février, ce quinquagénaire pressé a dû se résigner à piocher dans la main-d'oeuvre locale. Les 150 travailleurs syriens qu'il employait ont abandonné le chantier les uns après les autres. Aujourd'hui, il n'en compte plus que cinq, des cadres auxquels il tient comme à la prunelle de ses yeux car ils constituent le seul lien avec les autres, rentrés au pays par peur des représailles.
Symbole. Très vite, la fureur des Libanais, qui ont imputé la responsabilité de la mort de l'homme d'affaires sunnite à leur puissant voisin, s'est déversée sur ces ouvriers, symboles visibles de l'occupation. Leur nombre était estimé entre 300 000 et 800 000. Passages à tabac, jets de pierres, insultes, la vindicte populaire a été d'une rare violence, à tel point que les hommes politiques sont montés au créneau pour lancer des appels au calme. «Les services de renseignements sont une chose et l'ouvrier syrien en est une autre, a ainsi déclaré Walid Joumblatt, l'un des leaders de l'opposition. Il ne faut pas faire preuve d'animosité à leur égard.»
Peine perdue. Quelques jours plus tard, l'un de leurs campements, abritant une quarantaine de tentes, était incendié à Minieh, dans le nord du pays, tandis qu'à Saïda, au sud, les agressions se poursuivaient. «Je dispose d'informations d'après lesquelles 20 à 30 ouvriers syriens ont été tués récemment», déclarait, le 16 mars, le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah. Des chiffres invérifiables, mais qui n'ont pas rassuré ceux qui avaient fait le choix de rester, malgré les risques. «Je n'ai pas de travail en Syrie, témoigne Jassem, installé au pays du Cèdre depuis trois ans. J'ai hésité à rentrer mais, finalement, j'ai décidé de garder mon emploi ici. Simplement, je ne sors plus la nuit et je suis prêt à partir à tout moment.» Son camarade Ahmad acquiesce : «Mes parents veulent que je quitte le Liban. Moi, je reste confiant. C'est un peu comme ma seconde patrie.» Leur supérieur hiérarchique interrompt la conversation. «Vous savez, si certains d'entre nous les ont maltraités, explique-t-il, c'est parce qu'ils avaient de bonnes raisons. Les manoeuvres étaient souvent de mèche avec les Moukhabarat, les services secrets syriens. Ils écoutaient nos conversations et, si nous voulions les renvoyer, ils revenaient le lendemain avec leurs amis des renseignements pour nous menacer.»
La Syrie paie aujourd'hui le prix de ce départ massif, car les ouvriers expatriés au Liban dépensaient l'essentiel de leurs revenus dans leur pays d'origine. Des devises précieuses pour l'Etat du président Bachar al-Assad, dont l'économie est au bord de l'asphyxie. Mais le départ de cette main-d'oeuvre bon marché ne fait pas non plus les affaires des entrepreneurs libanais. Avec des salaires de 300 dollars par mois (232 euros) pour un travailleur non qualifié, ils étaient nettement plus rentables que les employés locaux, qui réclament environ 500 dollars par mois (387 euros) pour le même travail. «Sans compter que les ouvriers locaux, qu'ils soient libanais ou palestiniens, sont moins malléables et qu'ils coûtent cher en charges sociales, alors que les entreprises ne cotisaient pas pour leurs collègues de Damas», explique Nicolas Sbeih, rédacteur en chef de l'hebdomadaire économique Commerce du Levant.
Mohammed, quant à lui, se frotte les mains. Après quatre ans de chômage, il a enfin trouvé du travail pour subvenir aux besoins de ses deux enfants. «Et non seulement mon salaire est plus important, puisque je ne dois plus faire face à la concurrence des Syriens, se réjouit-il, mais, en plus, j'ai la sécurité de l'emploi, ils ont trop besoin de moi.» Dans un pays où le taux de chômage serait proche de 15 % (il n'existe pas de statistiques officielles), les couches défavorisées de la population, qui ont longtemps reproché aux travailleurs étrangers de voler le pain des Libanais, applaudissent. «Maintenant, je n'aurai plus besoin de partir dans le Golfe pour avoir une chance de décrocher un boulot», témoigne Abdallah, rentré il y a peu du Qatar.
Diplômés. Du côté des patrons, en revanche, c'est la soupe à la grimace. «Les agriculteurs, les transporteurs, les industriels, tous ceux qui ont besoin d'employés non qualifiés ont des problèmes. Nous espérons qu'ils vont revenir le plus vite possible», soupire Samir Diab, en jetant un regard désabusé sur son chantier de construction qui a déjà pris plusieurs semaines de retard. «Je ne pense pas que les Libanais pourront tous les remplacer, ajoute Nicolas Sbeih, tout simplement parce qu'ils sont plus diplômés et n'ont pas envie de faire certaines tâches jugées dégradantes comme le tri des ordures. A terme, les Syriens devraient reprendre leur place.»
Mais, pour l'instant, seuls les travailleurs isolés, qu'ils soient concierges ou gardiens d'immeuble, ont refait surface. «Nous ne nous sentons pas en danger, explique Abdel, chauffeur d'un riche homme d'affaires, parce que nous ne sommes pas visibles et que nos employeurs nous protègent.» Pour les autres, l'heure du retour ne semble pas avoir sonné. Les Syriens sont tenus pour responsables des attentats et incidents qui se sont multipliés ces derniers jours au pays du Cèdre et, même si la colère des premières semaines est retombée, la haine accumulée parfois depuis trente ans contre l'occupant pourrait engendrer d'autres flambées de violence, si la situation venait encore à se dégrader.

 http://www.liberation.fr/page.php?Article=286006

29.3.05

Liban: le Premier ministre désigné Omar Karamé va se récuser

AFP mardi 29 mars 2005 - 13h25

Le Premier ministre désigné, Omar Karamé, va se récuser en raison de son échec dans la formation d'un gouvernement d'union nationale, a indiqué mardi son conseiller Khaldoun Charif.
"M. Karamé doit rencontrer mardi le chef du Parlement, Nabih Berri et mercredi le président Emile Lahoud pour les informer qu'il refusait de former un nouveau cabinet qui ne soit pas un gouvernement d'union nationale", a-t-il ajouté. "Le Premier ministre s'en tient à l'engagement qu'il a pris de refuser de former un gouvernement qui ne soit un cabinet d'union nationale", a-t-il précisé.
M. Karamé, un homme politique pro-syrien, avait affirmé le 10 mars au moment de sa désignation par le président Lahoud qu'il n'accepterait de former qu'un gouvernement d'union ou de salut national et non un gouvernement d'un seul bord. Mais l'opposition, minoritaire au parlement, a catégoriquement refusé de cautionner le pouvoir libanais pro-syrien, qu'elle accuse d'être responsable "au moins par omission" de l'assassinat le 14 février de l'ex-Premier ministre Rafic Hariri.
Avant d'être à nouveau désigné, M. Karamé avait présenté sa démission devant le parlement, sous la pression de la rue.

Inquiétude chez les dictateurs de l’ex-URSS

CEI La Géorgie, l’Ukraine et le Kirghizstan ont basculé dans le camp des démocraties en l’espace d’un an et demi

Laure Mandeville
[Le Figaro, 29 mars 2005]

En un an et demi, trois «dominos» post-soviétiques sont déjà tombés. A qui le tour ? Depuis que des révolutions populaires portées par une revendication démocratique ont renversé les régimes autoritaires du Géorgien Chevardnadzé, de l’Ukrainien Koutchma et du Kirghize Akaïev, tous les despotes d’ex-URSS se sont mis à trembler, hantés par la peur de la contagion.
De Minsk à Bakou, en passant par Erevan, Tachkent ou même Moscou, la plupart des pays d’ex-URSS font aujourd’hui figure de «candidats» potentiels à la contestation. La corruption galopante, la confiscation de tous les pouvoirs au profit d’une caste oligarchique issue de la Nomenklatura de l’ancien PC ou des services secrets ont creusé un fossé profond entre les peuples et les Princes.
«Dures» ou «molles», selon les latitudes, les traditions politiques et le tempérament des dirigeants, ces dictatures autoritaires sont toutes travaillées par des germes de mécontentement, qui pourraient éclore à l’occasion du calendrier électoral.
Selon un modus operandi en trois temps – élection, falsification, révolution –, les mouvements de velours ont en effet tous surfé sur les fraudes électorales massives des récents scrutins.
A chaque fois, les étudiants et les ONG locales, encadrés par des ONG américaines présentes depuis plusieurs années dans la région, ont été le fer de lance de la révolte. Il est vrai aussi que les régimes géorgien, ukrainien et kirghize avaient tous pour spécificité de ne pas être des dictatures pures et dures. Des espaces de liberté importants y avaient été maintenus, notamment dans la presse. Certains experts en déduisent que les pays les plus susceptibles de «bouger» sont justement ceux qui, comme l’Azerbaïdjan, l’Arménie ou le Kazakhstan, laissent s’exprimer un certain pluralisme d’opinions.
Mais d’autres parient plutôt sur les phénomènes de contagion par proximité. Ainsi la Biélorussie du dictateur Alexandre Loukachenko serait-elle menacée par l’exportation du modèle orange ukrainien et les dictatures musclées d’Asie centrale par la contagion kirghize...

* L’Azerbaïdjan


Avec une élection législative prévue pour novembre 2005, la situation de ce petit pays caucasien – où le clan Aliev s’est maintenu au pouvoir lors d’une élection vécue par beaucoup comme une passation de pouvoir entre le père mourant Gueïdar et le fils Ilham – est précaire. En octobre 2003, jour de l’annonce des résultats, des troubles durement réprimés avaient éclaté à Bakou.

Depuis, l’opposition divisée tente de s’unir sous la houlette du chef du Front populaire d’Azerbaïdjan, Ali Kirimli, qui, dopé par la révolution ukrainienne, vient de faire le tour des capitales occidentales.

Pour assurer sa pérennité, le clan Aliev continue de se présenter, en Occident, comme le garant de la stabilité des investissements des majors pétrolières en mer Caspienne.

* L’Arménie


Grand adversaire de l’Azerbaïdjan, avec lequel il s’affronte sur le conflit «gelé» du Karabakh, le pouvoir arménien est fragilisé par son incapacité à résoudre cette épineuse question. Son président Robert Kotcharian, faucon originaire du Karabakh, n’a pas hésité à recourir à l’arme de la falsification massive des scrutins. L’opposition est faible, mais l’échec politique de Kotcharian sur le Karabakh et l’effondrement économique entretiennent le mécontentement. L’émigration est massive. Des voix s’élèvent pour remettre en cause l’alliance étroite nouée avec Moscou, au profit d’une réorientation de l’Arménie vers l’Occident. L’exemple géorgien, pays ami, suscite des débats acharnés.

* Le Kazakhstan


L’évolution politique du Kazakhstan depuis 1991 ressemble fort à celle du Kirghizstan. En 1991, le président Noursoultan Nazarbaïev est perçu comme l’un des dirigeants les plus modernistes d’ex-URSS. Mais il va progressivement dériver vers une gestion autoritaire, modifiant la Constitution pour rester au pouvoir. Signe du népotisme répandu dans ces contrées, il a systématiquement favorisé ses proches, plaçant sa propre fille à la tête d’un nouveau parti... d’opposition. Les autorités kazakhes, qui suivent de près la révolution kirghize, n’en affirment pas moins «ne pas craindre la contagion», en raison du niveau de vie nettement plus élevé des citoyens kazakhs. Pays très riche en hydrocarbures, le Kazakhstan est appelé à devenir l’un des principaux pays producteurs de pétrole du monde.

* L’Ouzbékistan


C’est l’une des dictatures les plus dures de la région centre-asiatique. Dirigé d’une main de fer par Islam Karimov depuis l’indépendance en 1991, l’Ouzbékistan a éliminé tous les partis d’opposition démocratique de l’époque gorbatchévienne. Aucun mouvement d’opposition n’a pu participer aux élections parlementaires de décembre, sévèrement critiquées par l’OSCE. Le régime de Karimov est accusé de pratiquer la torture et de maintenir dans ses geôles près de 6 000 prisonniers politiques. Les ONG sont constamment harcelées.
C’est au nom de l’islamisme que le régime de Karimov justifie sa dureté. Miné de l’intérieur, fragilisé par la multiplication des attentats, il cherche soutien auprès de la Russie et des Etats-Unis. Les portes du pays ont été ouvertes aux Américains, installés depuis 2001 sur une base aérienne. Une alliance à double tranchant...

* Le Turkménistan


Régime ultradur, entièrement dédié au culte de la personnalité de son chef, Saparmourat Niazov, le Turkménistan a totalement verrouillé la scène politique et médiatique locale. Le système est si peu transparent qu’il est difficile de se faire une idée de l’impact qu’a pu y avoir la révolution kirghize.

* Le Tadjikistan

Avec 64% de la population en deçà du seuil de pauvreté, un chiffre comparable au chiffre kirghize, la situation économique du Tadjikistan est explosive. Mais, à son actif, son patron Emomali Rakhmonov a su jouer la carte d’un partage partiel du pouvoir avec l’opposition islamiste. Véritable antidote contre les soulèvements populaires, le souvenir de l’effroyable guerre civile, qui aurait fait près de 500 000 morts en 1992, rend une révolte populaire peu probable.

* La Biélorussie


Bordée à l’ouest par la Pologne, au sud par l’Ukraine et au nord par les pays baltes, la Biélorussie du dictateur Alexandre Loukachenko se trouve indéniablement dans un environnement «propice». Mais à quelle échéance ? La manière musclée dont le pouvoir a imposé en octobre un référendum permettant une modification de la Constitution donne une idée des difficultés d’une opposition divisée. Pourtant, les initiatives civiles inspirées de l’exemple ukrainien, se multiplient. Des manifestations étudiantes se tiennent à intervalles réguliers dans la capitale.

* La Russie

Alors que, il y a un an à peine, Poutine, tout juste réélu, paraissait au faîte de sa puissance, une série de revers semblent ébranler la cuirasse d’un pouvoir russe de plus en plus autoritaire.
C’est la «révolution orange», à Kiev, qui a tiré l’élite russe de sa torpeur. Défaits, marginalisés par le verrouillage opéré par Poutine, libéraux et «oligarques» fourbissent leurs armes, profitant du mouvement de contestation sociale auquel le maître du Kremlin doit faire face, pour contre-attaquer, notamment dans des scrutins locaux. Le maire de Moscou, Iouri Loujkov, jusqu’ici aux ordres du Kremlin, a carrément estimé devant les étudiants de l’Université de Moscou, qu’une «révolution» était possible en Russie. Mais de quelle couleur ? «Citron», à l’image de certains mouvements nationalistes radicaux qui surfent sur la frustration ? Ou «pomme», du nom du parti libéral Iabloko ? Personne ne se risque à prendre de pari.

28.3.05

Egypt reins in democratic voices

from the March 28, 2005 edition - http://www.csmonitor.com/2005/0328/p01s02-wome.html

Mubarak arrested scores of members of the opposition Muslim Brotherhood Sunday.

By Dan Murphy | Staff writer of The Christian Science Monitor

CAIRO - President Hosni Mubarak's statement last month that Egypt's next election will involve multiple candidates - instead of being simply a referendum on his rule - unleashed a rush of opposition activity here.
Demonstrations by largely secular and left-wing groups have become commonplace, as have press attacks on the president and his family. But Sunday, with the outlawed but politically powerful Muslim Brotherhood set to join the fray, the regime sent a clear signal on the limits of dissent.
Starting at dawn, the government arrested about 70 members of the Brotherhood in Cairo and three other cities. Among those, Brotherhood officials say, was Abdul Meniem Abu al-Futuh, a senior official who tried to lead protesters to parliament. A few hundred made it within half a mile of parliament, while about 2,000 gathered in Ramses Square in central Cairo.
Egypt's approach to the Brotherhood is likely to put the US in a tight spot. The Bush administration has been pushing hard for more democracy in the Middle East. But while the Brotherhood - like most of Egypt's democracy advocates - would seem to be on board with President Bush's reform agenda, it is also deeply hostile to US policies in the region. The Brotherhood and groups like the Kafaya (Enough) movement - a range of secular organizations with limited grass-roots support - react with hostility when asked if they think the opening is a result of US policy.
Instead, they say, the US props up undemocratic regimes, and its use of force in Iraq was both illegal and immoral.
Mr. Mubarak has allowed unlicensed protests in recent months by Kafaya. But an emboldened Brotherhood, which has offices in every province and is the country's largest opposition organization, was too much for the government to take.
"The reason for the escalation by state security is the difference in size and influence between the Muslim Brotherhood and the other oppositiongroups," says Ahmed Ramy, a Brotherhood member.
It appears that the government - caught between US pressure and an increasingly vocal opposition, emboldened by the Iraq war - is trying to relieve political pressure with a small opening while not risking losing control of the situation.
A similar pattern of behavior has been seen with the government's arrest of opposition member of parliament Ayman Nour. The secular Mr. Nour's Al-Ghad party was officially licensed late last year, the first new party permitted in years. Nour then announced that he would run for president in opposition to Mubarak.
On Jan. 29, the government lifted his parliamentary immunity and then arrested him on charges he'd forged signatures on the petition for his party license. It then held him for six weeks. Nour, who says the charges were fabricated, is out on bail, and the government said last week he would be tried in June.
That incident prompted Secretary of State Condoleezza Rice to cancel a February trip to Cairo.
In recent years, the Brotherhood, which hopes eventually to win power through the ballot box and institute Islamic law, has been pragmatic about directly opposing the government. It has held some protests, but only with permission.
Sunday's protest was its first "wildcat" effort in years, and was met with a show of force. The Interior Ministry said it arrested only 45 members of the group for threatening stability and distributing pamphlets opposing Egypt's system of government.
The opposition has been fortified by Mubarak's promise a month ago to amend the constitution to allow a competitive presidential election. Under current rules, only one candidate is nominated by parliament, which Mubarak's National Democratic Party controls.
"We assume that the rules for the election will make it impossible to legally put forth viable opposition candidates,'' says Abdel Halim Qandeel, an editor at the anti-government Al-Arabi newspaper and an organizer behind Kafaya. "But there is an opening here. For the first time, there's open criticism of Mubarak and his family. We need street protests to break the barrier of fear around political activity."
Mr. Qandeel concedes that his movement is "still small," but says Kafaya can take credit for stirring the Brotherhood.
"The Brotherhood is like an enormous body with a very small brain. It takes time to get it moving," he says. Qandeel, a secular socialist whose vision is sharply at odds with the Brotherhood, says he's happy they're becoming more confrontational.
"They don't want to miss out - our pressure forced them to organize their own demonstration," he says. "This isn't necessarily a bad thing. Everyone has to fight Egypt's political stagnation."
In recent weeks, the Brotherhood has been outlining its demands for change. In a new pamphlet, the organization calls for the canceling of all laws limiting freedom of assembly and expression. It particularly wants to abolish Egypt's Emergency Law, which has been used for decades to control the political opposition.
The Brotherhood, which was rooted in Islamic militancy of the mid-20th century, renounced violence in the 1970s. Though officially outlawed, it is partially tolerated. Though it can't run candidates for office, it has about 15 members who ran as independents in the 454-seat parliament, making them the largest opposition group.
Many political scientists say that truly free elections might take the Brotherhood to victory. In the short term, that could complicate US policy in the Middle East.
While the current US position is that democracy will best safeguard US interests, a Brotherhood-led Egypt would probably cool US-Egyptian relations, spur more frequent denunciations of Israel, and suspend Egypt's peace accord with its neighbor.
Reformers in Kafaya are also hostile to the US, and both allege that America has propped up Mubarak and defied democracy here. The US gives about $2 billion a year in civilian and military aid to Egypt, making it the third-largest recipient of US aid after Israel and Iraq.

Troisième attentat en une semaine à Beyrouth

LE MONDE | 28.03.05 | 14h20  •  Mis à jour le 28.03.05 | 14h20

Moins de vingt-quatre heures après un attentat à la voiture piégée, le troisième en l'espace de huit jours, dans la partie à écrasante majorité chrétienne du Grand Beyrouth, une rumeur courait, dimanche 27 mars, dans la capitale libanaise, selon laquelle le président de la République, Emile Lahoud, serait prêt, pour sauver le pays, à satisfaire l'une des demandes intangibles de l'opposition : démettre de leurs fonctions les chefs des services de renseignement et de sécurité.
Certains Libanais voient dans cette rumeur le souffle de la présidence de la République, désireuse de tester les réactions des opposants, dont une partie au moins réclame la démission de M. Lahoud, reconduit pour trois années supplémentaires dans ses fonctions en septembre 2004 sur ordre de la Syrie, en violation de la Constitution.
Deux quotidiens et une chaîne de télévision ont cru pouvoir lire les intentions présidentielles dans des déclarations de M. Lahoud, qui s'est engagé à infliger les sanctions les plus sévères à tout coupable, fût-ce par négligence, de l'assassinat le 14 février de l'ancien premier ministre, Rafic Hariri. Ces déclarations étaient consécutives à la publication, jeudi, d'un rapport accablant pour lesdits services, élaboré par la commission chargée par l'ONU d'établir les causes et les circonstances de l'assassinat.
Un moment déstabilisées par ce rapport, les autorités libanaises se sont ressaisies et se sont engagées à coopérer avec l'ONU. Le document a apporté de l'eau au moulin des opposants et d'une majorité de Libanais, en pointant les carences et les manipulations des autorités compétentes après l'assassinat de l'ancien premier ministre, et en recommandant entre autres leur mise à l'écart et la constitution d'une commission d'enquête internationale sur cette affaire.
Mais l'espoir des Libanais de voir désigner les commanditaires et les auteurs de l'assassinat de Rafic Hariri est édulcoré par les actes terroristes qui se succèdent à un rythme soutenu. L'attentat du samedi 26 mars a fait six blessés et des dégâts matériels importants, dans une zone industrielle des faubourgs nord-est de Beyrouth. Les deux précédents, dont un contre un centre commercial de la localité de Kaslik, au nord de la capitale, avaient fait trois tués et une dizaine de blessés.
Ces attentats ont eu pour première conséquence de paralyser l'activité commerciale, déjà très ralentie par les mouvements populaires et de grève consécutifs à l'assassinat de Rafic Hariri. Bien qu'ils aient pris pour cible les zones à majorité chrétienne, dans le but vraisemblable de relancer les dissensions communautaires, ces actes terroristes n'ont pas eu d'incidence sur le mouvement contestataire pluriconfessionnel qui s'est déclenché le 14 février.

"POUVOIR OCCULTE"

Les manifestants de la place des Martyrs continuent leur sit-in nocturne quotidien. Samedi soir, ils ont formé avec leurs corps la reproduction des traits de l'ancien premier ministre assassiné. Lundi 28 mars, ils devaient organiser un sit-in en tenue blanche, symbole de la paix.
La chaîne de télévision arabe Al-Jazira a affirmé que des menaces d'attentat sont parvenues au standard de l'immeuble qui, au coeur de Beyrouth, abrite ses bureaux et ceux d'autres organes de presse. Ce n'est pas une première.
Il y a peu de temps, la chaîne de télévision Al-Arabiya avait été traînée dans la boue par le quotidien syrien Techrine, qui l'accusait de faire le jeu des plans antisyriens des Etats-Unis. Son correspondant à Beyrouth avait par ailleurs reçu des mises en garde anonymes. Futur TV, la télévision de feu Rafic Hariri, avait, d'autre part, fait l'objet d'une campagne de diffamation lancée par un "pouvoir occulte" que dénoncent sans relâche les opposants et qu'incarnent selon eux les "services" syriens et libanais.
Mouna Naïm
Article paru dans l'édition du 29.03.05

Discours américain et méthode tunisienne

«GRAND MOYEN-ORIENT» Une réflexion sur la façon de faire progresser la démocratie

Par Mezri Haddad * et Antoine Sfeir **
[Le Figaro 28 mars 2005]

Que le projet néowilsonien du président Bush d'impulser un «Grand Moyen-Orient» démocratique et d'abattre les tyrannies soit utopique ou réaliste, nul ne peut en infirmer la noblesse morale, ni en contester l'urgence politique. Le monde musulman est bel et bien malade. Il souffre de deux nécroses consubstantielles : l'intégrisme religieux et le népotisme politique.
Exceptés les autocrates invétérés et les adeptes de l'antiaméricanisme primaire, tout le monde est d'accord sur la nécessité impérieuse d'instaurer la démocratie. Ce qui suscite réserves et critiques, ce n'est donc pas le projet en tant que tel mais la manière «unilatéraliste» et «messianiste» de le réaliser. Beaucoup redoutent le syndrome de Gribouille : à savoir que le «fondamentalisme démocratique» – l'expression était déjà chez Garcia Marquez – plutôt que d'arrêter la prolifération de l'islamisme, entraîne sa métastase.
Autrement dit, la crainte est grande que l'effet dominos démocratiques escompté par les néoconservateurs tourne à la chute en cascade dans l'univers cauchemardesque du totalitarisme islamiste. D'où l'avertissement que certains tirent des élections irakiennes (les chiites sont au pouvoir), nonobstant leur succès ponctuel qui exprime une aspiration profonde à la démocratie. Mais, on ne le sait que trop depuis Rousseau : «La liberté est un aliment de bon suc et de forte digestion ; il faut des estomacs bien sains pour le supporter.» Dans son discours à Sciences po, Mme Rice ne disait pas autre chose : «La liberté doit être choisie, elle ne peut être octroyée et certainement pas imposée.» La France n'avait donc pas tout à fait tort !
Répandre la démocratie dans le monde arabe, veiller à ce que cette dynamique vertueuse profite aux démocrates et non aux théocrates, tel est désormais le grand dilemme de l'Administration américaine. D'où l'importance d'accorder les moyens (sujet de discorde entre Américains et Européens) et la fin (objet de consensus). Et dans cet exercice, il serait peut-être utile de méditer l'expérience tunisienne, à bien des égards méritoire. Certains – et pas seulement le président Chirac – érigent même cette expérience en modèle. En janvier, c'est le journal The Washington Times qui écrivait : «La Tunisie est, ou plutôt devrait être, un cas d'étude pour les politiciens de l'Administration Bush qui s'efforce de faire face au dilemme de la pauvreté, de l'extrémisme religieux au Moyen-Orient.»
Il est vrai que le projet américain de démocratiser le monde arabo-musulman, d'en extirper le virus intégriste, d'y enraciner une culture de la tolérance, d'y provoquer l'émancipation de la femme, donne rétrospectivement raison aux choix stratégiques de la Tunisie. En effet, s'attaquer aux racines de l'activisme islamiste, assigner à ce traitement curatif une finalité démocratique, conforte le président Ben Ali, et à double titre.
Primo, les multiples réformes exigées par les Etats-Unis pour enrayer les causes intrinsèques de l'intégrisme religieux, ont été appliquées en Tunisie, dès 1987. Secundo, le combat que Ben Ali a dû livrer aux intégristes ne l'a pas détourné d'un autre combat qu'il sait décisif : l'ancrage démocratique. Cette réalité – parfois contrariée par un autoritarisme atavique ou ternie par certaines restrictions aux libertés formelles d'autant plus regrettables qu'«insignifiantes» comparées aux libertés réelles déjà acquises – a été reconnue par George W. Bush lorsqu'il a reçu Ben Ali en 2004 : «La Tunisie est en mesure, aujourd'hui, de jouer un rôle avant-gardiste en matière de consécration des valeurs de démocratie et de liberté dans la région du Moyen-Orient.»
L'expérience tunisienne n'est pas parfaite, mais d'ores et déjà, elle pourrait, en effet, servir de paradigme à tous les pays arabo-musulmans qui voudraient, par choix, crainte ou contrainte, engager des réformes endogènes. Cette ambition d'être une force régénératrice pour un monde arabe frappé de sclérose, Ben Ali l'a manifestée lors du sommet arabe qui s'est tenu à Tunis en mai 2004. Force également modératrice et réconciliatrice, dont Tunis vient de faire preuve en invitant Ariel Sharon à participer au sommet mondial sur la société de l'information.
Parce que ce modèle tunisien a été partialement évalué – l'on parle toujours de ses titres de faiblesse, jamais de ses titres de noblesse –, il convient de le juger à sa juste valeur en commençant par rétablir certaines vérités. La première, c'est qu'il n'y a pas de compromis possible avec les islamistes. Cela ressemble aujourd'hui à un truisme, mais il y a à peine quatre ans, celui qui osait de telles affirmations s'exposait au redoutable châtiment de l'excommunication. Et pour cause, la tendance était à l'islamophilie et à l'islamo-progressisme : l'on pressait certains gouvernants arabes à reconnaître ce que d'aucuns appelaient l'islamisme modéré, sous le prétexte fallacieux que ce courant est une composante incontournable de la sociologie arabe. A l'inverse de certains dirigeants, Ben Ali ne s'est pas plié à ces exigences essentialistes et culturalistes, qui ne trompaient personne sur leur dessein politique. Connaissant la logique subversive de l'intégrisme et sa finalité totalitaire, il en a interdit toute expression politique.
La seconde vérité, c'est qu'il n'y a pas de démocratie sans un minimum de bien-être social et de prospérité économique. Bien avant de devenir célèbre par son «choc des civilisations», Samuel Huntington soutenait que les pays du tiers-monde devraient limiter «l'effet désordonnant de la démocratie», pour se concentrer sur «la construction d'institution et la création d'une épargne nécessaire à une croissance économique soutenue» (cité par Daniel Brumberg, Moyen-Orient, l'enjeu démocratique, trad. franç. éd. Michalon, 2003). Il n'y a donc pas de libéralisme politique sans son corollaire, sa condition sine qua non : le libéralisme économique. Celui-ci a été, dès 1987, un choix d'autant plus courageux que les dirigeants tunisiens ont dû concilier deux exigences a priori antagoniques : justice sociale et performance économique.
La troisième vérité, c'est qu'il n'y a pas de démocratie sans culture démocratique. Comme l'a si fortement exprimé René Rémond, «la démocratie est fragile et ses réalisations sont précaires... Elle requiert donc une éducation qui comporte l'apprentissage de ce qu'est la politique, son pouvoir et ses limites» (Le Monde, 15 juin 1993). Mais il n'y a pas de culture ni d'éducation démocratique sans la sécularisation du droit, sans la disjonction du religieux et du politique, sans l'existence d'une société civile, sans la laïcisation de l'enseignement, sans l'émancipation de la condition féminine.
Pour employer l'expression profonde de Marcel Gauchet, il faut être «métaphysiquement démocrates». Depuis 1987, c'est précisément à ce chantier sans fin que s'est consacré Ben Ali. Par les multiples réformes qu'il a engagées de façon pragmatique et graduelle, il a préparé la société à accueillir la démocratie comme un bien précieux et non comme un don qui, mal employé, pourrait se transformer en poison mortel. N'oublions jamais cette différence capitale que faisait Tocqueville entre la démocratie comme «état de la société» et la démocratie comme «forme de gouvernement», la seconde devant toujours succéder à la première.
«L'essence même de la politique est que des décisions soient prises pour, non par la collectivité», disait Raymond Aron. C'est le premier enseignement à retenir de l'expérience tunisienne. Le second : la démocratie est un processus global et graduel ; elle n'est pas une création ex nihilo. «Chaque nation devra déterminer elle-même la cadence et l'orientation du changement. Personne ne peut l'imposer de l'extérieur», estimait précisément l'ambassadeur des Etats-Unis en France (Le Figaro, 13 décembre 2004). Simple doxa d'un diplomate bien inspiré, ou néoréalisme chez les hyperconservateurs ? Le «Discours de la liberté» du président Bush semble favoriser la seconde hypothèse : «L'Amérique n'imposera pas son propre style de gouvernement... Le grand objectif de mettre fin à la tyrannie est l'oeuvre de plusieurs générations.»
Les déclarations du président Bush lors de sa tournée européenne traduisent clairement sa volonté d'écouter un peu plus cette «vieille Europe», mais qui connaît bien la réalité complexe du monde arabe. Désormais, toute zizanie entre l'Europe et les Etats-Unis profitera aux autocrates arabes ainsi qu'à leurs opposants et néanmoins alliés objectifs, les islamistes. Idéalisme et réalisme, volontarisme américain et pragmatisme européen, plutôt que de s'opposer, doivent se compléter, afin que l'hymne à la liberté ne se transforme pas en requiem, et que le rêve démocratique arabe ne tourne pas au cauchemar théocratique et totalitaire.

* Philosophe et essayiste (auteur de Carthage ne sera pas détruite, éd. du Rocher, et La Tunisie, des acquis aux défis, éd. Médiane).
** Directeur de la revue Les Cahiers de l'Orient.

24.3.05

La guerre froide a perdu son cerveau

diplomatiques

Par Jacques AMALRIC
jeudi 24 mars 2005

Ce 9 février 1946, sous prétexte de lancer une campagne électorale dont tout le monde connaît déjà les résultats, Staline prononce un important discours sur l'état du monde après la Deuxième Guerre mondiale, dont il rend responsable, non pas Hitler, mais la crise du système capitaliste de l'économie mondiale. Pas question, annonce-t-il, de pactiser avec le monde capitaliste. L'alliance antinazie d'hier a vécu. Le système socialiste est sorti du conflit mondial plus puissant que jamais. Le prolétariat mondial doit poursuivre la révolution et, à cette fin, l'Union soviétique doit tripler en cinq ans sa production industrielle et d'armements.
Le défi lancé par Staline, dont les armées lui ont déjà assuré la part du lion en Europe centrale et orientale ainsi qu'à Berlin, ravive le débat qui se déroule au sein de l'administration Truman pour savoir s'il est possible ou non de trouver un terrain d'entente entre le monde démocratique et l'Union soviétique. Quelques semaines plus tard, la question sera tranchée pour les quarante ans à venir, sinon par un homme du moins par son analyse de la situation internationale qui plaide en faveur du «containment» de l'URSS, c'est-à-dire pour «un long, patient, ferme et vigilant endiguement des tendances expansionnistes russes».
Cet homme, mort la semaine dernière à Princeton (New Jersey) à l'âge de 101 ans, s'appelle George Kennan. Lorsque le département d'Etat demande son avis sur la diatribe de Staline à l'ambassade américaine à Moscou, Kennan n'est que ministre conseiller. Mais comme l'ambassadeur en titre, Averell Harriman, est absent, c'est au numéro 2 de répondre. Ce que George Kennan va faire dans une dépêche de huit mille mots qui est passée à l'Histoire sous le nom du «long télégramme». Pour l'époque, c'est un texte d'une lucidité extraordinaire. «Dans le dogme du marxisme, écrivait notamment Kennan, les bolcheviques ont trouvé la justification de leur crainte instinctive du monde extérieur, de la dictature sans laquelle ils ne savent pas gouverner, des cruautés dont ils n'osent pas faire l'économie, des sacrifices qu'ils se croient obligés d'exiger. Au nom du marxisme, ils ont extirpé toute notion de morale ; c'est la feuille de vigne de leur respectabilité. [...] Sans le marxisme, ils se présenteraient devant l'Histoire comme les derniers de cette longue série de despotes cruels qui ont impitoyablement fouaillé le pays pour atteindre une puissance militaire toujours plus grande pour garantir la sécurité extérieure de leurs régimes intérieurement fragiles. [...] Nous sommes en présence d'une force politique fanatiquement convaincue qu'il ne peut exister de modus vivendi permanent avec les Etats-Unis. [...] Cette force politique dispose d'une manière absolue des énergies d'un des plus grands peuples du monde, d'un système lui permettant d'exercer son influence dans d'autres pays. [...] Le problème consistant à tenir tête à cette force est indiscutablement le plus grave et le plus difficile que notre diplomatie ait jamais eu et qu'elle aura probablement jamais à traiter.»
George Kennan, qui avait été nommé à son retour d'URSS à la tête du Policy planning staff du département d'Etat, affina son analyse et ses propositions dans un article, lui aussi historique, publié en juillet 1947 dans la revue Foreign Affairs. Intitulé Les sources du comportement soviétique, le texte était signé «X», mais l'auteur fut vite démasqué par le New York Times. Reprenant son concept de «containment» («Une politique ferme contenant les Russes par une force contraire exercée en tous les points géographiques où ils montrent des signes d'empiètement»), Kennan y ébauchait celui d'une dissuasion politico-économico-militaire, estimant que si l'URSS «rencontre des barrières infranchissables sur son chemin, elle les acceptera et s'en accommodera avec philosophie». Plus étonnant, il anticipe l'implosion de l'Union soviétique et écrit : «S'il devait survenir quelque élément qui désorganise l'unité et l'efficacité du parti en tant qu'instrument politique, la Russie soviétique pourrait se transformer du jour au lendemain en une société des plus faibles et des plus pitoyables.»
Paradoxalement, George Kennan ne fera pas une grande carrière à Washington. Esprit aussi libre que lucide, il n'était pas fait pour naviguer dans les eaux du pouvoir. Après avoir participé à la mise en place du plan Marshall - du nom du secrétaire d'Etat de Truman - et s'être impliqué dans le renforcement des activités secrètes de la CIA, il est nommé en 1952 ambassadeur à Moscou pour être déclaré cinq mois plus tard persona non grata par Staline. A son retour, au début du maccarthysme, il est écarté de la diplomatie par John Foster Dulles, le secrétaire d'Etat d'Eisenhower, qui jugeait la doctrine d'endiguement «trop passive» et rêvait de «refoulement». Curieusement, il est alors «récupéré» par le frère de Dulles, Allen, qui dirige la CIA, mais, en désaccord avec le ton agressif de la diplomatie américaine à l'égard de l'URSS, il quitte le service public et se réfugie à Princeton qu'il ne quittera plus, sauf pour prendre en charge l'ambassade américaine en Yougoslavie, pendant les années Kennedy.
Depuis plus de trente ans, il faisait figure de vieux sage élitiste et sceptique de la diplomatie, regrettant la «militarisation» du concept d'endiguement, la course aux armements qui s'ensuivit, les dérives de la CIA (qu'il se reprochait) et la guerre du Vietnam.
Il n'avait pas été plus tendre à l'égard de l'engagement américain dans l'ex-Yougoslavie, de l'élargissement de l'Otan, de l'intervention en Irak et de la notion de guerre préventive.

 http://www.liberation.fr/page.php?Article=284650

La télévision irakienne diffuse les "confessions" d'un "officier syrien"

AFP 24.03.05 | 13h53

La télévision officielle irakienne a présenté les "confessions" d'un homme qui s'est présenté comme un officier supérieur des services de renseignements syriens finançant la guérilla dans la ville septentrionale de Mossoul. L'émission populaire "Les criminels dans les griffes de la justice", a présenté mercredi soir sur la chaîne Al-Iraqiya, les "aveux" d'un homme vêtu d'une djellaba, parlant avec un fort accent syrien. Il a affirmé s'appeler Mohammed Abdel Rahmane, avoir comme surnom "Abou Abdo" et "être un colonel des services de renseignements syriens, envoyé en Irak comme un marchand de peaux, pour financer l'insurection à Mossoul", à 370 km au nord de Bagdad. Interrogé par les forces de sécurité irakiennes (qui ont ensuite envoyé la cassette vidéo à la chaîne de télévision), il a indiqué qu'il avait sous ses ordres 20 insurgés irakiens "et qu'il avait l'habitude de rencontrer et recevoir ses ordres du général des renseignements Ali Ahmad al-Mohammad". Selon lui, des jeunes irakiens ont reçu un entraînement de 40 à 45 jours près de la ville syrienne de Lattaquié (ouest). Il a également mentionné des camps d'entraînement au Pakistan dirigés par des islamistes proche d'Oussama ben Laden et supervisés et financés par les renseignements syriens. Les autorités irakiennes et américaines accusent régulièrement la Syrie de montrer des sympathies avec la guérilla et de laisser passer par sa frontière des combattants étrangers voulant commettre des attentats en Irak, ce que Damas dément. "Le général Ali al-Mohammed me demandait d'attaquer les Américains et de les terroriser pour qu'il n'y ait jamais de retour au calme et que les Etats-Unis ne pensent pas attaquer la Syrie", a dit l'homme passé aux aveux. Les organisations des droits de l'homme ont critiqué cette émission car, selon elles, il s'agit d'une violation des droits de l'individu, inscrits dans la Loi fondamentale régissant le pays.

Le pape malade suit les célébrations de Pâques à la télévision

Jeudi 24 mars 2005, mis à jour à 13:07

LEXPRESS.fr avec AFP
Jean Paul II, contraint par la maladie de rester dans ses appartements au Vatican, a suivi à la télévision la messe chrismale, deuxième temps fort des célébrations pascales, qui a rassemblé en la basilique Saint-Pierre tous les cardinaux, prêtres et évêques présents à Rome.
Le pape, 84 ans, est trop affaibli pour sortir de son appartement médicalisé, et devrait aussi rester éloigné jeudi soir de la messe commémorant la cène, le dernier repas du Christ, acte fondateur de l'Eglise selon le dogme chrétien.
Jean Paul II a cependant souligné son "union spirituelle" avec les cardinaux, évêques et prêtres du monde entier, dans un message lu au début de la messe chrismale par le cardinal italien Giovanni Battista Re.
"Je m'unis par la pensée a vous, qui êtes rassemblés pour la célébration", a écrit le pape. "De mon appartement, à travers la télévision, je suis spirituellement parmi vous, très chers. Je rends grâce avec vous du don et du mystère de notre sacerdoce. Avec vous et toute la famille des croyants, je prie pour que des prêtres nombreux et saints ne manquent jamais à l'Eglise".
Jean Paul II avait chargé le cardinal Re, préfet de la congrégation pour les évêques, de présider la messe chrismale, manifestation de l'unité de l'Eglise catholique.
Chaque année durant cette messe, les huiles saintes qui serviront aux sacrements (baptêmes, ordinations, etc) sont bénies, et tous les membres du clergé sont invités à renouveler leurs voeux.
L'absence du pape, le premier des évêques, à cette "fête" du clergé, a été douloureusement ressentie par l'assistance. "Dans son absence, le pape Jean Paul II est plus que jamais présent à cette messe chrismale et nous voulons le remercier pour le témoignage qu'il continuer à donner, particulièrement par son exemple d'abandon serein à Dieu qui l'associe au mystère de la Croix", a souligné le cardinal Re dans son homélie.
Jeudi soir, c'est le cardinal colombien Alfonso Lopez Trujillo qui devait présider la messe de la Cène, concélébrée par tous les cardinaux, évêques et prêtres présents. Cette messe comporte le rite du lavement des pieds, un geste d'humilité accompli par le célébrant envers douze prêtres en mémoire des douze disciples du Christ.
Jean Paul II, peu à peu paralysée par l'arthrose et la maladie de Parkinson, a dû renoncer il y a trois ans à ce rite auquel il est particulièrement attaché.
Mais l'an dernier, il avait pu présider la messe et prononcer l'homélie. C'est la première fois en 26 ans de pontificat que Jean Paul II, qui se remet difficilement de la trachéotomie subie le 24 février pour l'aider à respirer, est tenu éloigné de toutes les célébrations de la semaine de Pâques.
Dimanche, la messe des Rameaux place Saint-Pierre avait été célébrée par le cardinal Camillo Ruini, président de la conférence épiscopale italienne, et le souverain pontife n'était apparu qu'un bref instant pour bénir les 50.000 fidèles massés sur la place.
Cette apparition d'un pape faible, amaigri et hors d'état de pouvoir prononcer la prière de l'Angelus avait relancé les spéculations sur son état.
Pour rassurer les catholiques et maintenir le contact avec eux, Jean Paul II s'est montré une minute mercredi à la fenêtre de son bureau. Il n'a cependant pas prononcé un seul mot.
Des sources médicales ont indiqué que Jean Paul II supporte mal les interventions sur la canule qu'il faut régulièrement changer pour éviter les infections, s'alimente difficilement, et que le fer qu'on doit lui administrer pour combattre l'anémie provoque nausées et maux de tête.
Mais dans son entourage, on assure qu'il ne va pas si mal, qu'il travaille tous les jours, écrit à la main, échange quelques mots avec ses proches et poursuit la rééducation de sa voix avec un orthophoniste.

Vatican: le jeudi saint célébré en l'absence du pape

ROME (ATS)
Les célébrations du jeudi saint, deuxième temps fort de la Semaine pascale, ont commencé en la basilique Saint-Pierre au Vatican sans le pape Jean Paul II. Son état de santé le contraint de suivre la liturgie depuis ses appartements.
Le cardinal italien Giovanni Battista Re présidait la messe chrismale, première célébration de la journée. Il a lu un message du pape dans lequel ce dernier souligne sa communion spirituelle avec les cardinaux, évêques et prêtres de Rome et du monde entier.
"Je m'unis par la pensée à vous, qui êtes rassemblés pour la célébration", a écrit le pape. "De mon appartement, à travers la télévision, je suis spirituellement parmi vous, très chers. Je rends grâce avec vous du don et du mystère de notre sacerdoce. Avec vous et toute la famille des croyants, je prie pour que des prêtres nombreux et saints ne manquent jamais à l'Eglise".
Jean Paul II, âgé de 84 ans, se remet difficilement des suites de la trachéotomie qu'il a subie le 24 février pour l'aider à respirer. Depuis sa sortie d'hôpital le 13 mars, il a semblé très affaibli lors de brèves et rares apparitions à la fenêtre de son bureau ou lors de liaisons vidéo.
Traditionnellement, le pape, évêque de Rome, célèbre cette messe en la basilique Saint-Pierre. Jean Paul II, pour la première fois, ne peut présider lui-même cette manifestation de l'unité de l'Eglise catholique. C'est le cardinal Re, préfet de la congrégation pour les évêques, qui la préside en son nom.
© SDA-ATS News Service

La santé du Pape semble s’aggraver

Le 24 mars 2005 par ChristiCity

L’apparition du pape, le mercredi 23 mars, laisse apparaître une aggravation de sa santé, aggravation qui est affirmée par la presse italienne même s’il semblait en meilleure forme que dimanche.
"Prie pour le pape parce que sa santé s’aggrave", avait dit en effet, il y a quelques jours Mgr Stanislaw Dziwisz, secrétaire particulier de Jean Paul II, à un prêtre polonais, selon Orazio Petrosillo du quotidien "Messaggero".
Selon le journal "La Repubblica", qui cite des sources non identifiées, le pape a eu une nouvelle crise respiratoire lundi, due "probablement à une accumulation excessive de glaire dans la gorge". Des rumeurs faisant état d’une nouvelle hospitalisation du pape au Gemelli, ont une nouvelle fois fait le tour, lundi soir, de la capitale italienne avant d’être démenties par des sources autorisées.
Les médecins qui soignent Jean Paul II, font savoir qu’"il n’y a eu aucune aggravation ces derniers jours" de son état de santé général mais que la convalescence entamée après la trachéotomie se poursuit avec des hauts et des bas. C’est ce qu’indique pour sa part le "Corriere della Sera".
Malgré l’annulation de son audience générale du mercredi, et au lendemain d’informations sur une détérioration de son état général, le pape a tenu à se montrer à la petite foule de fidèles rassemblés sous sa fenêtre, et au delà à ceux du monde entier grâce aux caméras de télévision, maintenant ainsi coûte que coûte le contact avec les fidèles durant la semaine de Pâques et les rassurant au lendemain d’informations inquiétantes sur son état de santé.
Le pape, qui semblait sourire, a fait d’amples signes de croix en direction de l’assistance qui l’a acclamé et a entonné un chant religieux. Puis la silhouette a disparu pendant que les rideaux se fermaient à nouveau. Le pape avait le visage quasiment immobile. L’évênement n’a duré qu’une minute, mais le souverain pontife a semblé en meilleure forme que dimanche, lorsqu’il avait béni l’assistance à l’issue de la messe des Rameaux place Saint-Pierre qu’il n’avait pu lui-même célébrer cette année, pour la première fois de son pontificat.
"C’est vrai, il a beaucoup maigri parce qu’il a du mal à se nourrir, et des médecins sont en permanence à ses côtés", a confié mercredi à l’AFP une source proche de l’entourage du pape. "Mais il se porte assez bien, est totalement lucide et parle à son entourage d’une voix normale".
Selon cette source, Jean Paul II "passe beaucoup de temps à sa table de travail et écrit". Mais il s’impatiente souvent, comme on a pu le constater dimanche, lorsqu’il a frappé son pupitre de la main après avoir béni la foule, alors qu’on s’apprétait à reculer son fauteuil.
Des informations émanant de l’entourage médical du pape avaient fait état mardi d’une aggravation de son état de santé. Le pape supporterait de moins en moins les interventions sur la canule qui lui a été posée le 24 février, et souffrirait en outre de problèmes d’anémie parce qu’il a du mal à s’alimenter.
La prochaine apparition publique de Jean Paul II devrait avoir lieu vendredi soir lors du Chemin de croix au Colisée, sans doute sur un écran vidéo.

Source : InfoCatho

Dérives… Directives… Mémoires !

Le moment semblait venu de parler un peu de cinéma. Hier sortait sur les écrans français le film britannique et irlandais de Pete Travis « Omagh », avec Stuart Graham, Gerard McSorley et Michèle Forbes. Loin des films hollywoodiens sur l’Irlande, depuis « The Quiet man » de John Ford, avec John Wayne et Maureen O’Hara, à « The Devil’s Own » d’Alan J. Pakula, avec Harrison Ford et Brad Pitt, il reprenait le modèle de caméra à l’épaule de Paul Greengrass, dans « Bloody Sunday », avec James Nesbitt et Gerard McSorley. De fait, ces deux films peuvent apporter une vision du conflit nord-irlandais autre que celles biaisées par le cadrage forcément « loyaliste » des actualités britanniques et par le romantisme « nationaliste » du cinéma américain. En proposant une plongée au cœur de l’événement, sans porter de jugement, mais en tentant d’atteindre une objectivité historique, ces deux films font plus pour la résolution du conflit nord-irlandais que tous les discours de la famille Paisley. Ils permettent de saisir tout le désarroi d’une communauté privée de ses droits les plus élémentaires, capable des plus hauts faits à la Mike Connelly comme des plus infâmes dérives.
Pourtant, cet hymne à la verte Erin ne sera pas pour aujourd’hui. Ce matin, le Figaro de ce matin titrait franchouillardement : « La charge de Chirac contre l’Europe libérale ». Qu’a dit le président français ? « Le caractère outrancier des propositions initiales de la directive sur les services a eu pour effet, à juste titre, de mobiliser l’opinion », a-t-il expliqué. Il a rendu une hommage appuyé à la manifestation « parfaitement digne et parfaitement déterminée » organisée contre ce texte le 19 mars à Bruxelles par les organisations syndicales européennes, qui ont mobilisé soixante mille personnes dans les rues de la capitale belge. Néanmoins, a-t-il poursuivi, « nous sommes prêts a étudier les modalités d’une ouverture du marché des services, à condition que ce soit un marché qui permette de tirer tout le monde vers le haut et non vers le bas ». Il a estimé qu’une telle ouverture profiterait à la France, « premier exportateur de services en Europe ».
Cette foutue directive Bolkestein, acceptée il y a dix-huit mois sans la moindre récrimination des pays membres, qui l’ont entérinée lors du sommet de Lisbonne, ou des deux commissaires français de l’époque, Michel Barnier et Pascal Lamy, est en train de plomber le référendum français. Et d’un effet de manche, le « Chi » de l’Elysée espère ramener le calme dans la maison France. Mais il restera toujours cette ambiguïté franco-française autour de cette idée de libéralisme. Dans ce « cher et vieux pays » archéo-socialiste qu’est la France, cette idée terrorise, au point de faire de ses défenseurs de violents extrémistes. Il est vrai qu’Alain Madelin, jeune étudiant en droit, était à Occident, mais il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis et les jospinistes trotskistes ! Il est tout aussi vrai que l’idéologie libérale est assimilée à l’économie et aux politiques de déréglementations reaganiennes et thanatopraxies. Mais le licenciement des contrôleurs aériens américains ou le pourrissement de la grève des mineurs de charbon anglais a peu à faire avec le libéralisme. Maurice Thorez, secrétaire général du Parti communiste français, n’avait-il pas déclaré à la France du Front populaire : « Il faut savoir finir une grève » ?
Le libéralisme est inhérent à toute société démocratie, qu’elle soit capitaliste ou non. Les Français, habitués à leurs avantages acquis par la doucereuse propagande socialo-communiste, en ont oublié cette réalité depuis longtemps. Et combien même, la culture de l’avantage acquis n’est pas incompatible avec le libéralisme, mode d’ordonnancement politique fondé sur la liberté. Liberté de penser autrement, liberté de publier, liberté de travailler, liberté de ne rien faire… La « main invisible » d’Adam Smith explique aussi que des limites à cette liberté existe. Cet encadrement, comme la justice sociale, n’est absurdement pas incompatible avec le libéralisme.
Le libéralisme est intrinsèquement lié à la liberté. On sait ses errements depuis la Révolution française et peut-être faut-il rechercher dans cette direction cette méfiance tout aussi intrinsèque des Français ? Tout comme il convient de rechercher du côté de la Glorieuse révolution anglaise cet attachement britannique au libéralisme. Les policiers ne sont pas armés, mais pourtant respecté, et tout un chacun peut vivre libre. Sauf un catholique, surtout s’il est nord-irlandais bien sûr…

La Banque mondiale dans la gueule du loup

Grand Angle

Pour diriger la «banque du développement», Bush a proposé Paul Wolfowitz, son faucon en chef. Essentiellement intéressé au maintien de la puissance américaine, ce théoricien va-t-en-guerre et néoconservateur n'en a pourtant pas le profil.

Par Pascal RICHE
jeudi 24 mars 2005

Washington de notre correspondant

Au loup ! Depuis que George W. Bush a proposé celui qu'il appelle «Wolfie» pour diriger la Banque mondiale, un vent de panique agite le village global. Les diplomates s'alarment, les ONG spécialisées dans le développement hurlent à la «provocation», les employés de la Banque mondiale se demandent ce qui leur est tombé sur la tête, et certains organisent déjà la «résistance». Car Paul Wolfowitz, numéro 2 du Pentagone, est l'incarnation de tous les maux du premier mandat de Bush : chef de file des néoconservateurs, théoricien de la guerre préventive, architecte de l'invasion de l'Irak, chantre de l'unilatéralisme...
Les gouvernements européens, qui théoriquement peuvent mettre leur veto (1), enragent en coulisse, mais ne tiennent pas à rouvrir les récentes plaies. Ils se sont, semble-t-il, résignés . De Bruxelles, hier, le chancelier allemand Gerhard Schröder a donné le ton: Wolfowitz «ne suscite pas des débordements d'enthousiasme en Europe», mais sa nomination «n'échouera pas à cause de l'Allemagne et j'ai l'impression qu'elle ne sera pas bloquée par les autres (pays) en Europe.» Wolfowitz s'active pour faire oublier son image de «velociraptor», une étiquette que lui avait collée un jour The Economist, à la recherche d'un superlatif de «faucon». Il a donné plusieurs interviews, dans lesquelles il jure qu'il n'entend pas se servir de la Banque mondiale pour bouleverser l'organisation et y imposer un quelconque programme politique.

Le plus puissant des «neocons»

Ses défenseurs s'affligent des «caricatures» qu'on dresse de lui. Wolfowitz est certes plus un spécialiste de la défense que du développement, mais il n'est pas moins qualifié que ses prédécesseurs, arguent-ils. Sous Reagan, il a été secrétaire d'Etat adjoint pour l'Asie du Sud-Est et ambassadeur en Indonésie. De plus, n'a-t-il pas acquis, au Pentagone, l'expérience de la gestion d'une immense bureaucratie ? «Je le connais depuis vingt ans. Il n'est pas cet idéologue de bande dessinée qu'on fait de lui. Il est très pragmatique et sa carrière montre qu'il n'a rien d'un illuminé», soutient Gary Schmitt, directeur du club de néoconservateurs Project for a New American Century. Mais, pour être subtil, il n'en est pas moins dangereux. S'il est nommé, prévient Joseph Stiglitz, ancien économiste en chef de la Banque mondiale, l'organisation deviendra «l'instrument explicite de la puissance américaine». Comment ne pas redouter de voir arriver, à la tête d'une des plus grosses tirelires du monde, un homme qui considère que le leadership consiste à «montrer à vos amis qu'ils seront protégés, à vos ennemis qu'ils seront punis et à ceux qui refusent de vous soutenir qu'ils le regretteront» ?
A 61 ans, Wolfowitz est le plus puissant des «néoconservateurs», ces intellectuels issus de la gauche qui ont, essentiellement pour des raisons de politique étrangère, viré à droite dans les années 60 ou 70. Les neocons estiment que les Etats-Unis forment une combinaison unique, à la fois superpuissance et démocratie et ont le devoir de faire reculer les tyrannies. «Pour Paul, la puissance américaine n'est pas une fin en soi, c'est un instrument pour améliorer le monde», assure Charles Fairbanks, spécialiste de l'Asie centrale, qui connaît Wolfowitz depuis l'université.
Certains néoconservateurs ont viré vraiment à droite, d'autres restent ouverts sur les sujets de société. A écouter ceux qui le connaissent, c'est le cas de Wolfowitz, qui n'a jamais vécu dans un bocal conservateur. «Sa petite amie est une féministe arabe...» (2) glisse l'un de ses supporteurs, pour démontrer qu'il est à cent lieux de l'étroitesse d'esprit de la droite religieuse américaine. «Petite amie», «féministe», «arabe» : les trois mots sont importants.

Le protégé du «Dr Folamour»

Le père de Wolfowitz, Jacob, était un juif polonais, mathématicien, dont les parents se sont installés aux Etats-Unis en 1920. En Pologne, la presque totalité de sa famille a péri dans les camps nazis. Jacob Wolfowitz avait l'habitude de répéter à ses enfants combien ils avaient de la chance d'avoir échappé aux horreurs du totalitarisme et d'avoir pu être élevés aux Etats-Unis. Selon la soeur de Wolfowitz, qui vit aujourd'hui en Israël, l'un des fréquents sujets de conversation, à la table familiale, portait sur la responsabilité morale des Etats-Unis vis-à-vis du monde.
Lycéen, Paul Wolfowitz soutient la campagne de Kennedy. A 19 ans, il participe au grand rassemblement pour les droits civiques des Noirs à Washington, dont le clou fut le «rêve» de Martin Luther King. Il étudie les mathématiques à l'université de Cornell (New York), où son père les enseigne, et s'apprête à se consacrer à une carrière de biochimiste. Là, le flamboyant professeur Allan Bloom, dépeint sous les traits de «Ravelstein» dans le roman à clés de Saul Bellow (3), le prend sous son aile. Bloom est un disciple de Leo Strauss, philosophe en rébellion contre la modernité et le relativisme, qui deviendra l'icône des néoconservateurs. Il convainc l'étudiant de laisser tomber la biochimie et de suivre sa passion, la science politique. Wolfowitz s'inscrit à l'université de Chicago, où Leo Strauss enseigne. Son intelligence impressionne : «Quand on jouait aux cartes, il gagnait toujours. Il calculait, il savait ce que les autres joueurs avaient en main», se souvient Charles Fairbanks. Il est repéré par le mathématicien et stratège Albert Wohlstetter. Inspirateur de la doctrine nucléaire américaine, il considère l'idée de détente comme une dangereuse folie (ses théories, radicales, ont inspiré le Dr Folamour de Kubrick). La guerre du Vietnam fait rage. Wolfowitz y est plutôt favorable, mais pas jusqu'à se porter volontaire : ses études lui permettent d'y échapper.

«S'assurer qu'aucune autre superpuissance n'émerge»

Après quelques années d'enseignement à Yale, il rejoint le Pentagone, par l'entremise de son mentor Wohlstetter. A Washington se forme un réseau des protégés du mathématicien, animé par Richard Perle, alors conseiller du sénateur démocrate et anticommuniste Henry «Scoop» Jackson. Le but de ce petit club est de combattre la stratégie de coexistence pacifique d'Henry Kissinger, sa bête noire. A partir de là, pendant vingt ans, Wolfowitz fera des allers et retours entre le Pentagone et le département d'Etat, se distinguant par sa propension à imaginer des menaces sur la sécurité du pays. Sous Ronald Reagan, leader quasi idéal à ses yeux, il passe du Parti démocrate au Parti républicain.
A la fin de la première guerre du Golfe, en 1991, il s'efforce de convaincre George Bush père de déloger militairement Saddam Hussein, qui s'emploie alors à écraser dans le sang les rébellions chiites et kurdes. Il perd face à la ligne légaliste et prudente incarnée par Colin Powell, à l'époque chef d'état-major interarmes.
C'est après la chute de l'Union soviétique que Wolfowitz s'impose comme le «théoricien» des néoconservateurs. Les faucons sont un peu perdus, leur ennemi ayant disparu. Que faire si c'est «la fin de l'histoire» ? Wolfowitz, en charge de la stratégie politique au Pentagone, suggère de saisir ce moment historique : l'unipolarité soudaine du monde, juge-t-il, doit être prolongée le plus longtemps possible. En 1992, un document, rédigé par ses services, suggère sans ambages que désormais «la mission politique et militaire des Etats-Unis» est de «s'assurer qu'aucune autre superpuissance n'émerge». Le texte fait l'objet d'une fuite, provoquant un scandale. Le président Bush ordonne qu'il soit entièrement réécrit. La version initiale, document fantôme, devient un mythe dans les rangs néoconservateurs.

L'obsession irakienne

Retourné au monde universitaire sous Clinton, comme doyen de la Sais (School for Advanced International Studies) à Washington, Wolfowitz ne cesse d'appeler à la confrontation avec l'Irak. En octobre 1998, George W. Bush l'enrôle dans son équipe de campagne pour seconder Condoleezza Rice. Secrétaire adjoint à la Défense, après le 11 septembre, il plaide sans relâche pour le renversement de Saddam Hussein. Lors d'un séminaire à Camp David, quatre jours après les attentats, il se fait si insistant que George W. Bush doit le faire rappeler à l'ordre. Au début, sa lubie semble saugrenue ; mais patiemment, toujours prudent, toujours loyal, «Wolfie» saura convaincre Bush que la chute du régime irakien est la clé d'une évolution positive au Moyen-Orient...
Cet homme peut-il devenir le président de la Banque mondiale ? A la différence de bien d'autres faucons américains, tel John Bolton, juste nommé ambassadeur des Etats-Unis auprès de l'ONU, il affiche une forme d'idéalisme. Son ami Fairbanks assure que l'un de ses moteurs est sa «sensibilité à la souffrance des hommes». On l'a même vu se faire un jour huer, lors d'un congrès pro-israélien, parce qu'il avait évoqué celle du peuple palestinien.
Sous Reagan, lorsqu'il s'occupait de l'Asie au département d'Etat, il a encouragé plusieurs régimes asiatiques à l'ouverture et il a joué un rôle non négligeable dans la chute du dictateur philippin Ferdinand Marcos. Mais le problème de fond, avec Wolfowitz, c'est qu'il a toujours raisonné en termes de projection du pouvoir américain, une habitude dont il risque d'avoir du mal à se défaire à la Banque mondiale. «Wolfowitz a eu de jolis mots pour expliquer comment le tsunami avait inspiré son envie de se consacrer au développement (4). Mais gare ! c'est essentiellement un homme qui s'énerve si d'autres pays ne font pas ce que les Etats-Unis veulent», prévient Steve Clemons, spécialiste des questions économiques internationales à la New America Foundation. Lorsqu'on demande aux amis de Wolfowitz ce qui le motive le plus, entre l'amélioration du sort du monde et le maintien de la puissance de l'Amérique, ils haussent les épaules. Car, explique Gary Schmitt, la conviction profonde de l'aspirant patron de la Banque mondiale est que «l'un et l'autre coïncident».

(1) Par tradition, les Américains choisissent le président de la Banque mondiale, et les Européens, le directeur du FMI. Le candidat doit être confirmé par les 24 membres du conseil d'administration de la Banque, qui représente 184 pays. Les pays européens ont 30 % des voix, les Américains 16 %. (2) Citoyenne britannique née à Tunis et élevée en Arabie Saoudite, Shaha Ali Riza, 51 ans, s'occupe des relations extérieures du département Moyen-Orient et Afrique du Nord à la Banque mondiale. Elle est, comme Wolfowitz, divorcée. (3) Dans Ravelstein, Wolfowitz apparaît sous les traits de Philip Gorman, le contact du professeur homosexuel au Pentagone. (4) Wolfowitz affirme qu'il a commencé à apprécier ce poste lors de sa visite sur les lieux du désastre, le 26 décembre.

 http://www.liberation.fr/page.php?Article=284646

23.3.05

La mer Noire et le rêve d'un grand lac européen

POINT DE VUE

LE MONDE | 23.03.05 | 16h01  •  Mis à jour le 23.03.05 | 16h01

n cette année 2005 placée sous le signe de la mémoire, il est une commémoration restée dans la pénombre : le 60e anniversaire des accords de Yalta, qui avaient partagé le monde en deux blocs antagonistes entre vainqueurs de la seconde guerre mondiale, le 4 février 1945. Et, pourtant, s'il est un fait historique qui frappe par son actualité, c'est bien celui de la réunification du Vieux Continent à l'heure de l'élargissement de l'Union.
Soviétique hier, aujourd'hui ukrainienne, demain européenne, Yalta parviendra-t-elle à s'affranchir du fardeau de son passé, elle qui n'apparaît aux yeux du monde qu'à travers le prisme de cette semaine de février 1945 ? C'est peut-être le cas depuis peu. Ville de la péninsule de Crimée, Yalta est au coeur d'une zone maritime en pleine mutation. C'en est fini du lac soviétique, désormais les pays de la mer Noire regardent vers l'Europe.
La Roumanie et la Bulgarie ont un pied dans l'Union européenne, la Turquie s'efforce de les rejoindre, la Géorgie et l'Ukraine ne veulent rien d'autre. Une nouvelle page s'est ouverte l'année dernière avec la perspective d'un "statut de voisinage immédiat" que les Vingt-Cinq ont promis à l'Ukraine et aux Etats du Caucase (Géorgie, Arménie, Azerbaïdjan). D'élection en élection, les Etats autoritaires ont gagné au fil du temps en transparence, en libéralisation des moeurs et en respect des droits de l'homme. En deux ans, les pays de la zone ont davantage progressé sur ce terrain que depuis la chute du Mur en 1989. Ainsi les équipes actuelles ont rompu avec les méthodes des régimes au pouvoir pendant des décennies et tentent de créer autour de ce lac de plus en plus européen une communauté de destin.
Ce regain démocratique ouvre à l'ensemble des peuples de la région trois voies de développement complémentaires. L'Organisation de la coopération économique de la mer Noire (Ocemn), créée en 1992 et jusque-là poussive, gagnera en visibilité et en cohésion. Ce forum régional dont six pays sont membres (Bulgarie, Géorgie, Roumanie, Russie, Turquie, Ukraine) et auquel cinq autres sont associés (Albanie, Arménie, Azerbaïdjan, Grèce, Moldavie) s'est inspiré du modèle de l'UE dans son fonctionnement. L'Ocemn est d'ailleurs devenue, depuis 1999, une vraie organisation économique avec une identité légale internationale reconnue. D'autres Etats (Autriche, France, Allemagne, Egypte, Israël, Italie, Pologne, Slovénie, Tunisie) y ont un statut d'observateurs. A l'heure où les conflits du Proche-Orient soulèvent l'incessante question des débouchés, ses terminaux (Odessa, Supsa, Novorossisk), ses gazoducs (le Bluestream qui emmène du gaz russe vers la Turquie) et pipelines (le Bakou-Tbilissi-Ceyhan ou BTC, pour l'acheminement du brut de la Caspienne vers la Méditerranée) accentuent sa dimension géopolitique.
L'OTAN ne s'y est pas trompée, elle qui accorde une attention toute particulière à la périphérie russe. Un statut particulier a été attribué à l'Ukraine. En 1997, ce pays a signé avec l'OTAN la charte sur le partenariat distinct prévoyant la création d'un mécanisme consultatif de gestion de crise susceptible d'être activé dès lors que Kiev percevrait une menace pour sa sécurité. En 2004, la Bulgarie et la Roumanie ont rejoint l'Alliance, avec, à la clé, l'implantation de bases militaires sur leurs sols ; la Géorgie n'a jamais caché son intention d'en être membre un jour et multiplie les programmes de coopération avec les pays de l'OTAN. De son côté la Turquie, membre historique, parraine son poulain géorgien, accréditant l'idée d'une mer Noire en phase de devenir sinon lac atlantiste, du moins occidental.

LA "GORGE D'ISTANBUL"

L'horizon d'une démocratie accomplie est cependant loin d'être atteint. L'amnésie ou le déni d'un pan de leur histoire reste vivace chez certains : la Bulgarie et la Roumanie par rapport aux Roms, la Turquie face aux Arméniens, la Géorgie envers ses minorités, l'Ukraine vis-à-vis de la question des Tatars de Crimée ont du mal à regarder leur passé en face. Comment la Russie réagit-elle à l'endroit de ces évolutions ? La vieille ambition d'un accès aux mers chaudes reste-t-elle d'actualité aux yeux du Kremlin, au moment où la zone de ses intérêts stratégiques est en train de lui échapper ? Le détroit du Bosphore reste un point crucial pour l'exportation du brut russe (près de 70 millions de tonnes par an, soit 30 % des exportations russes), dont la production rivalise aujourd'hui avec celle de l'Arabie saoudite.
Saisissant l'enjeu de la mer Noire, la Russie et la Turquie, les deux ennemis héréditaires, se sont subitement rapprochées, avant tout pour des raisons économiques, comme l'ont attesté les visites officielles quasiment simultanées des deux chefs de l'exécutif, Recep Tayyip Erdogan et Vladimir Poutine.
De multiples projets d'oléoducs sont à l'étude pour contourner la "gorge d'Istanbul" (Istanbul Bogazi), laquelle, longue de 30 kilomètres et large de 3 kilomètres à 600 mètres à peine, est un passage naturel extrêmement périlleux. En 2004, le Bosphore a vu passer 52 000 navires, dont 9 500 chargés de produits pétroliers, et Ankara ne manque jamais de souligner les risques que ce trafic fait peser sur l'environnement. Quel tracé l'emportera ? Celui de Burgas (Bulgarie) jusqu'à Vlore (Albanie), via la Macédoine ? Cet autre, allant de la Bulgarie jusqu'au port grec d'Alexandropolis (sur la mer Egée) ? Ou bien encore celui partant du port turc de Samsun jusqu'au terminal de Ceyhan, sur la Méditerranée ?
La seule inconnue de taille reste la Russie. En pleine perte d'influence auprès de son ancien glacis, ce pays tarde à trouver sa place dans cette nouvelle configuration de la mer Noire, passée de l'expression géographique à une dimension politico-économique. Yalta lui avait garanti un statut de puissance mondiale, la nouvelle architecture de la mer Noire lui ôte, soixante ans plus tard, tout espoir de reconquête. Reste la symbolique, comme ce monument à Staline, Roosevelt et Churchill, une triple statue de bronze, que Moscou voudrait voir installer dans le parc du palais Livadia, là où se tint la conférence il y a soixante ans.

Marie Jégo et Gaidz Minassian
Article paru dans l'édition du 24.03.05

Ben Laden a échappé aux Américains à Tora Bora

LE MONDE | 23.03.05 | 15h58  •  Mis à jour le 23.03.05 | 15h59

Trois mois après les attentats du 11 septembre 2001, Oussama Ben Laden s'est enfui des hauteurs de Tora Bora (Est de l'Afghanistan) où il était assiégé par les troupes américaines et leurs alliés afghans. Cette information sur l'échec de la traque du responsable d'Al-Qaida a enfin reçu un vernis officiel américain avec la publication d'un document du Pentagone, mercredi 23 mars, obtenue par Associated Press (AP). Il s'agit de la déclaration d'un détenu de la base américaine de Guantanamo (Cuba), qui affirme avoir "aidé Oussama Ben Laden à s'enfuir de Tora Bora".
Dans ce document, l'homme est décrit comme un ancien "commandant de Ben Laden pendant le Djihad - guerre sainte - contre les Soviétiques" en Afghanistan. Son nom n'est pas précisé, mais il est présenté comme "associé à" Al-Qaida dans la période la plus récente. Une indication laisse supposer qu'il occupait un poste élevé puisque l'intéressé "avait des gardes du corps" et collaborait avec la direction régionale d'Al-Qaida. Ces renseignements figurent dans un "résumé de preuves" établi le 14 décembre 2004 par le Pentagone lors d'une procédure ouverte à Guantanamo pour déterminer si le prisonnier était légitimement détenu en tant que "combattant ennemi" par les Etats-Unis.
L'agence de presse américaine a obtenu la communication du "résumé" en faisant jouer la loi sur la liberté de l'information (Freedom Information Act) qui permet à tout citoyen américain d'obtenir, sous conditions, la publication de documents officiels. "C'est la première déclaration formelle du Pentagone que Ben Laden était à Tora Bora et a échappé à ses poursuivants américains", écrit AP.

"SOUS-TRAITANCE"

En pleine campagne présidentielle, le rôle controversé de l'armée américaine dans la bataille de Tora Bora avait déclenché une polémique entre George Bush et John Kerry. En octobre 2004, le candidat démocrate avait ainsi reproché au président sortant de n'avoir "pas choisi d'utiliser des troupes américaines pour pourchasser Ben Laden" à Tora Bora mais d'avoir préféré "sous-traiter" le travail à des combattants afghans. M. Bush avait soutenu que l'armée ignorait à l'époque où se trouvait le chef islamiste tenu pour responsable des attentats du 11-Septembre.
Dans cette controverse, le président sortant s'était abrité derrière les affirmations du général Tommy Franks - le chef du commandement central qui dirigeait la guerre en Afghanistan. Le 19 octobre, le général Franks avait écrit dans le New York Times : "Nous ne savons pas à ce jour si M. Ben Laden était à Tora Bora en décembre 2001."

Article paru dans l'édition du 24.03.05

Fin de partie à Beyrouth

Le printemps libanais n’en finit pas de se terminer. Deux personnes, un Indien et un Pakistanais, ont été tuées et trois autres, deux Sri Lankais et un Libanais, blessées lors de l’explosion d’une bombe cette nuit à Kaslik, au nord de la capitale libanaise. L’explosion, due à une bombe de forte puissance, s’est produite dans un grand centre commercial de Kaslik, près du port de Jounieh, à une vingtaine de kilomètres au nord de Beyrouth. Plusieurs boutiques, une boîte de nuit et un centre d’amusement, fermé mardi, se trouvent dans la galerie, qui était quasi-déserte au moment de l’attentat, commis vers un heure et demie locale. Le centre commercial a été ravagé par la force de l’explosion qui a provoqué d’importants dégâts dans un rayon de plusieurs centaines de mètres. Il s’agit du deuxième attentat en cinq jours. Dans la nuit de vendredi à samedi, un attentat à la voiture piégée avait fait une dizaine de blessés dans un quartier commerçant et chrétien de la banlieue nord de Beyrouth.
Plusieurs députés ont aussitôt dénoncé ce qu’ils considèrent comme un acte destiné à déstabiliser le Liban. « Ce nouvel attentat vise à porter atteinte au soulèvement pour l’indépendance et la souveraineté du Liban », a déclaré l’ancien ministre et député de l’opposition anti-syriennne; Fares Boueiz, à la LBCI. « Il s’agit d’un message politique qui nous est adressé. Il est clair que celui qui a commis cet attentat veut déstabiliser le Liban. C’est la sécurité des gens qui est visée (…) mais il ne faut pas tomber dans le piège » des fauteurs de trouble, a-t-il ajouté. « On se croirait à Falloujah, pas au Liban », a pour sa part affirmé le député Mansour al Boun, également accouru sur les lieux de l’explosion. Un troisième parlementaire Naamatallah Abi Nasr a lancé : « J’accuse les adversaires du Liban, et je dis : ça suffit comme ça ». Le député Farid al Khazen a réclamé « la démission » des responsables des services de sécurité au Liban.
Il fallait naturellement s’attendre à cette flambée de violence. L’attentat qui avait coûté la vie à l’ancien Premier ministre portait en lui les germes d’une stratégie de la tension, pour ne pas parler d’une possible reprise de la guerre civile. Cette tragédie libanaise, qui n’est pas sans rappeler la situation du milieu du XIXe siècle, appelle quelques commentaires. Certes, la main de l’étranger est impliquée dans la tournure des événements. En 1840 et 1860, il s’agissait des Anglais, qui dressaient par leur effort de propagande et d’argent les Druzes et les Maronites. Aujourd’hui, qui avait le plus à tuer Rafic Hariri ? Pas la Syrie, qui ne savait que trop qu’elle serait accusée de ce crime. Qui a le plus à procéder aux attentats aujourd’hui ? Pourquoi pas la Syrie, dont la justification de sa présence était justement le maintien de la sécurité ? Or, le redéploiement de ses troupes dans le nord du pays du Cèdre est presque achevé…
Sans sombrer dans une absurde théorie du complot, il est clair qu’une main invisible a joué avec le peuple libanais. Laquelle ? Les Etats-Unis, Israël et la France, pour ne retenir que ces puissances, avaient tout intérêt à ce que la Syrie quitte le Liban. Mais Rafic Hariri était de loin leur interlocuteur privilégié. L’Iran n’avait aucune raison de remettre en cause, par ce genre d’action, la position du Hizb‘allah, véritable Etat dans l’Etat libanais. Sinon à vouloir desserrer la pression internationale autour de sa politique nucléaire ! Les Libanais eux-mêmes, autour du président Emile Lahoud, c’est plus probable. Ses relations avec Rafic Hariri étaient loin d’être bonnes et la puissance de nuisance du milliardaire libanais était apparemment sans borne. La dérive mafieuse du régime peut autoriser ce genre de spéculations…

22.3.05

Le printemps de peuples

Après la « révolution de la rose » en Géorgie (fin 2003) et « la révolution orange » en Ukraine (fin 2004), une « révolution des tulipes » est maintenant en cours dans un nouveau pays de l’ex-URSS, estimait lundi la presse russe, très attentive aux événements en cours dans l’ancien pré-carré de la Russie. Depuis un mois, le Liban est en proie à une mobilisation sans précédent de sa jeunesse. Le monde semble craquer de partout sous l’effet d’un tsunami démocratique, dont la tectonique répondrait à une faille du développement ouverte, ou plutôt révélée, par le 11 septembre 2001.
Le 13 octobre dernier, lors d’une communication devant le Council on Foreign Relations de New York, un journaliste du Washington Post, Sebastian Mallaby, auteur du livre « The World’s Banker », comparait cette époque à celle qui avait suivi la Seconde Guerre mondiale, avec la Conférence de Bretton Woods qui ne pensait en termes de développement qu’à la crise économique, conjuguant forts taux de chômage et hyper-inflation qui conduisit l’Europe au fascisme et à la guerre, puis dans les années soixante, avec la politique de l’Association internationale de développement, lancée par la Banque mondiale afin d’éviter, comme Cuba, que des pays en développement tombe dans l’escarcelle communiste. Au lendemain des attentats du 11 septembre 2001, à la lumière du Soudan, de l’Afghanistan hébergeant al Qaida, du conflit des diamants en Afrique de l’ouest, la demande pour une autre politique semblait se faire jour.
L’antiaméricanisme de l’affaire irakienne a peut-être caché ce besoin, à moins que les courants de mobilisation issus de la mondialisation l’aient révélé. Le soutien du président américain George W. Bush au « combat pour la liberté », affirmé dans son discours sur l’état de l’Union en janvier dernier, n’a fait que renforcer ce déterminisme populaire, à la lumière de la réussite ukrainienne. L’action de l’organisation gouvernementale humanitaire américaine US Aid n’est pas non plus innocente. Pour 2005, le montant de son aide prévue pour l’Eurasie est de cinq cent cinquante millions de dollars et celui pour les Républiques d’Asie centrale et l’Azerbaïdjan atteint cent soixante-huit millions. Il prévoit le maintien du financement de programmes portant sur la démocratisation, l’atténuation des conflits, l’aide humanitaire, la croissance économique et la santé.
La plus grosse imprimerie de presse du Kirghizistan a ainsi été équipée de rotatives neuves. Des autocollants le rappellent à qui voudrait saisir ce matériel. Mais ils signalent aussi comment les Etats-Unis ont massivement investi, ces dernières années, dans ce très pauvre petit pays montagneux de l’ex-empire soviétique, enclavé entre la Chine et le Kazakhstan. Tout comme ils avaient soutenu et encouragé les révolutions pacifiques de Géorgie en 2003, d’Ukraine en 2004 et du Liban en février dernier, les Etats-Unis ont beaucoup donné, ces dernières années, pour le « développement de la démocratie » au Kirghizistan.
Rien que pour ces élections législatives aujourd’hui contestées par la foule, l’agence américaine de développement aurait investi au moins deux millions de dollars. Une somme considérable dans un pays où le salaire moyen est d’environ 30 dollars, mais qui n’est rien encore par rapport au travail de fond effectué depuis l’indépendance de ce pays, en 1991. Ces treize dernières années, sept cent cinquante millions de dollars d’aide américaine ont été versés au Kirghizistan, reconnaissait récemment l’ambassadeur américain à Bichkek, Stephen Young, promettant « considérablement plus d’aide encore si le pays faisait un pas de plus en avant vers la démocratie ».
Après le 11 septembre 2001, les Etats-Unis se sont ainsi acheté une base militaire au Kirghizistan, qui leur permet de desservir l’Afghanistan. Mais le président Askar Akaïev a aussi permis l’ouverture d’une base russe et prend un malin plaisir à faire monter les enchères entre Moscou, Washington et Pékin. En Géorgie et en Ukraine, les anciens présidents Edouard Chevardnadze et Leonid Koutchma avaient, de même, longtemps louvoyé entre Moscou et Washington. Au Kirghizistan, l’enjeu est d’autant plus intéressant pour Washington que le pays est en majorité musulman : une « révolution démocratique » y serait un bel exemple de ralliement au camp pro-américain d’un pays musulman.
Pour ce faire, toutes les techniques déjà éprouvées en Géorgie et en Ukraine sont à l’oeuvre au Kirghizistan : via les mêmes organisations (National Democratic Institute, International Republican Institute, Ifes, Eurasia Foundation, Internews…), au moins cent soixante-dix organisations non gouvernementales (ONG) locales chargées du développement ou de la promotion de la démocratie ont été créées ou sponsorisées. Une « coalition » de ces ONG a été formée, dispatchant dans tout le pays deux mille observateurs chargés de surveiller les élections. Plusieurs dizaines de leaders de l’opposition ont été invités à des voyages ou séminaires de formation aux Etats-Unis ces dernières années. Quant à l’imprimerie ouverte grâce aux fonds américains en 2002, elle permet aujourd’hui d’imprimer une soixantaine de titres, dont plusieurs journaux d’opposition très virulents. Elle dérange suffisamment le pouvoir pour que celui-ci ait jugé nécessaire de lui couper l’électricité : depuis le 22 février au matin, l’imprimerie ne fonctionne plus que grâce à deux groupes électrogènes, fournis en hâte par…l’ambassade américaine.
Tous ces investissements américains dans la «démocratie» kirghize ne garantissent pas que le scénario géorgien ou ukrainien se répétera à Bichkek, comme on peut déjà le constater à Beyrouth : l’essentiel dépendra de la mobilisation de la population. La capacité d’exportation de la démocratie américaine va être à nouveau à rude épreuve dans ce petit pays que beaucoup d’Américains auraient sans doute du mal à localiser sur une carte.